Cameroun : un pays coupé en deux par la fronde des « villes mortes »

Cameroun : un pays coupé en deux par la fronde des « villes mortes »

Du 3 au 5 novembre 2025, l'appel aux  « villes mortes » lancé par Issa Tchiroma Bakary a montré une adhésion contrastée mais forte dans ses bastions du Nord, de l'Ouest, de l’Est et du Littoral. Alors que le mouvement de protestation contre la réélection de Paul Biya se poursuit, les conséquences économiques s'accumulent et les violations des droits numériques sont dénoncées.

Ce mercredi 5 novembre marque le troisième et dernier jour des « villes mortes » décrétées par Issa Tchiroma Bakary. Dans les rues de Garoua, ville d'origine du candidat contestataire, l'ambiance est lourde. Les marchés sont fermés, les boutiques sont closes et la circulation est réduite à sa plus simple expression. « Ici, le mot d'ordre a été largement suivi. La ville était réellement morte », confirme une source sur place à RFI . Seuls les groupes de jeunes, postés à des carrefours stratégiques, rappellent que cette grève générale est un acte de défiance politique.

À plus de 1 200 kilomètres de là, à Douala, poumon économique du pays, l'activité n'a tourné qu'au ralenti. Malgré les injonctions des autorités, dont le gouverneur qui est allé en personne rencontrer les commerçants pour les dissuader de fermer, l’adhésion au mot d’ordre de l’opposant contestataire mais aussi la peur des représailles, ont été plus fortes. «Les personnes rencontrées leur ont, à chaque fois, posé le problème des risques encourus, au regard des dommages subis par certains commerçants la semaine dernière », rapporte un journaliste dans la métropole. Dans la région de l'Ouest, à Bafoussam, Dschang, Bafang… les marchés sont également restés fermés. Situation similaire à Bertoua, dans la ,région de l’Est. En revanche, la capitale Yaoundé et le sud du pays sont restés un peu à l'écart du mouvement, avec des administrations et commerces fonctionnant quasi normalement .

Un pays fracturé et une colère qui couve

Ce paysage contrasté dessine les nouvelles fractures politiques nées de l'élection présidentielle du 12 octobre dernier. Le Conseil constitutionnel a certes proclamé Paul Biya vainqueur avec 53,66 % des voix contre 35,19 % pour Issa Tchiroma , mais cette légitimité est rejetée par une partie de la population. L'appel aux « villes mortes » est la dernière tentative en date de l'opposant pour faire pression sur un pouvoir qu'il accuse de lui avoir « volé » sa victoire.

La situation est particulièrement tendue dans les trois régions septentrionales. Dès le premier jour du mouvement, lundi, la ville de Banyo a été le théâtre d'incidents graves. La colère des manifestants s'est dirigée vers la résidence du secrétaire général adjoint de la présidence, Mohamadou Moustapha, qui a été « littéralement pillée, puis incendiée » après que le préfet eut menacé de sceller les commerces fermés . Ces violences s'ajoutent à un lourd bilan humain. Selon certaines sources, les forces de sécurité ont tué au moins 60 personnes dans la répression des manifestations post-électorales .

Les libertés fondamentales sous pression

Au-delà de la contestation du résultat, le processus électoral et sa gestion ont soulevé de graves inquiétudes en matière de respect des droits humains. L'organisation Paradigm Initiative a condamné les restrictions d'accès à Internet imposées depuis la fin du mois d'octobre, les qualifiant de « violation des droits fondamentaux » . L'ONG rappelle que ces disruptions violent les articles 9 et 19 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pourtant Etigarantis par la Constitution camerounaise . Ces entraves à la liberté d'expression et d'information ont entaché l'intégrité du processus électoral dans un contexte déjà volatil.

La communauté internationale observe la situation avec attention. Comme le résume un analyste, « Biya a maintenant un mandat particulièrement fragile étant donné que beaucoup de ses propres citoyens ne croient pas qu'il ait remporté l'élection » . Alors que le septennat de Paul Biya, 92 ans, débute, le défi de la réconciliation nationale et de la restauration de la confiance apparaît immense. Les « villes mortes » de cette semaine sont un signal d'alarme que le pouvoir ne pourra sans doute pas ignorer bien longtemps.

Étienne TASSÉ