La création des écoles primaires inclusives dans quelques villes camerounaises semblent ne pas permettre à cette catégorie de personnes handicapées de se scolariser convenablement….La méconnaissance de l’existence desdites écoles par le grand public, la non-vulgarisation du langage des signes pour favoriser l’accès à l’information et la liberté d’expression des enfants sourds-muets, tout comme la cherté des frais de scolarité dans les centres spécialisés de Yaoundé, Douala, Bafoussam et Ebolowa ne favorisent pas leur éducation...
Simplice Nguimfack, menuisier dans la 3e rue du quartier Nylon à Bafoussam est père d’une fillette de 12 ans, sourde-muette. Après avoir déboursé la somme de 266.000 Fcfa( deux cent soixante et six milles francs Cfa) de frais de scolarité et de frais d’internat au Centre de rééducation spécialisé des sourds-muets et malentendants (Cersom) de Bafoussam, il a inscrit cet enfant, pour l’année scolaire 2023-2024, à l’école des sourds-muets d’Ebolowa. Et pourtant non loin de sa résidence du quartier Haoussa de Bafoussam, est logée une école primaire publique inclusive. « J’ai voulu inscrire l’enfant à l’école publique inclusive du groupe III à Bamendzi, non loin de la maison, il n’y avait pas d’enseignantes qualifiées en matière de formation des sourds-muets et malentendants. Plusieurs enfants sourds-muets ne vont pas à l’école ou multiplient les échecs dans les écoles ordinaires à cause du manque d’information relative à la disponibilité des structures publiques ou privées d’éducation des enfants en question. Du fait que les centres spécialisés ne sont pas présents partout, les parents doivent payer des frais de transport ou d’internat pour leurs enfants. C’est compliqué avec la vie chère », explique-t-il.
Ils avancent dans le cadre des promotions collectives
Au niveau de la ville de Bangangté, il existe également une école primaire publique inclusive placée sous la direction de madame Nguepdjop et incorporée au complexe scolaire primaire et maternel public du Groupe II. « Dans cette école, nous encadrons de nombreux enfants sourds-muets. Nous faisons de notre mieux pour favoriser leur apprentissage et leur socialisation. Ils avancent dans le cadre des promotions collectives. C'est-à-dire que nous faisons avancer en classe supérieure tous les enfants inscrits dans une salle de classe pour une année donnée. Nul n’est discriminé en fonction de sa performance académique ou de son handicap. C’est le sens de l’inclusion à travers l’école », explique une enseignante. « A chaque nous faisons des formations pour l’enseignement des enfants aveugles ou sourds-muets. Nous avançons beaucoup. Il est important que notre établissement scolaire jouisse de sa vocation d’école primaire publique inclusive. Dans presque tous les chefs-lieux de département, l’Etat a mis en place une école primaire publique inclusive », soutient-elle.
Les enfants sourds-muets sont envoyés dans ce centre pour la responsable des affaires sociales de Bangangté, madame Tchamba. Nji Fidelis, délégué régional du ministère des Affaires sociales(Minas) dans la région de l’Ouest, ne lésine sur aucun effet pour faciliter l’insertion des handicapés y compris des sourds-muets dans les établissements scolaires de la région. « Ils ne doivent rien payer. Il suffit qu’ils se fassent établir une carte d’invalidité et soient enregistrés dans les services sociaux. Avant le 15 aout de chaque année, nous transmettons leurs dossiers aux chefs des différents établissements publics sollicités par leurs parents. Leur admission tout comme leur scolarisation sont gratuites», assure-t-il. Quid de leur suivi psychopédagogique ? Simplice Nguimfack fait savoir que les établissements publics ne disposent d’aucune logistique pour assurer un encadrement efficient aux enfants déficients auditifs ou sourds-muets. « Dans les établissements publics, les enseignants ne disposent pas des outils technologiques ou des compétences pour suivre les enfants sourds-muets. Nous sommes obligés de nous rendre dans les centres spécialisés privés. Car il existe un seul centre spécialisé pour les sourds-muets qui fonctionnent avec les moyens de l’Etat. Il est situé dans la région du Sud-Ouest. Il n’est pas aisé d’y envoyer un enfant à plus de 400 kilomètres de son domicile familial », affirme-t-il. Il poursuit en signifiant qu’il n’est pas aussi aisé d’accéder à l'Ecole spécialisée pour enfants déficients auditifs (Eseda) de Messa à Yaoundé.
Tout comme au Centre de Rééducation des Enfants Sourds-CRES de New-Bell à Douala. Car les coûts de formation dans lesdits centres tenus par des associations ou des personnes privées à l’instar du Cersom à Bafoussam sont chiffrés à des centaines de milles Fcfa pour un enfant de l’école primaire. Alors que la gratuité de l’école primaire publique est consacrée au Cameroun à travers l’article 47 d’un décret présidentiel du 19 février 2001. « Pour être admis dans ces écoles, il faut faire un audiogramme de l’enfant. Cet examen n’est pas toujours disponible dans les formations sanitaires modestes. Ensuite, il faut se rendre au service social pour faire établir une carte d’invalidité à l’enfant. Toutes ces formalités ne réduisent pas vos dépenses. La formation d’un enfant sourd-muet coûte très cher et ça repose sur le dos des parents. L’Etat ne subventionne pas », déplore-t-il.
La vulnérabilité spécifique des enfants sourds-muets
Au fils des années, cette triste réalité semble se renouveler. Ce 19 septembre 2023, deux semaines après le début de la rentrée scolaire 2023-2024, Princesse Kenfack, 15 ans et sourde-muette, a quitté son village, Fongo-Tongo, dans le département de la Menoua pour rejoindre la ville de Bafoussam où elle est appelée à fréquenter le Centre spécialisé pour enfants sourds-muets et malentendants (Cersom). Accompagnée de sa maman, Philomène Matefack, veuve et ménagère, elle a été inscrite en classe de 3eme année, l’équivalent du Cours préparatoire (Cp). Elle devra rejoindre ses camarades à l’internat. D’où se pose le problème de nourriture. « Tout est cher sur le marché. Nous ne savons comment faire pour nourrir la centaine d’enfants qui fréquentent notre centre et séjournent à l’internat », se plaint madame Djonthé, l’une des responsables de ce centre, approchée par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade).
Elle pense que pour bien comprendre ce qui est enseigné en classe, les enfants, surtout en position de handicap, doivent se nourrir de manière équilibrée. En plus, elle dénonce le fait que rien n’est fait par les pouvoirs publics pour aider les malentendants ou les sourds-muets à corriger ou à atténuer leur handicap avec un appareillage nécessaire. « C’est difficile. L’an passé, j’ai manqué de quoi payer la scolarité de ma fille et les frais d’internat. Elle est restée à la maison. Cette fois, j’ai réussi à l’inscrire. Mais comment faire pour payer la totalité de sa scolarité. En plus, il faut débourser de l’argent pour son hébergement et sa nutrition à l’internat. Je dois aussi veiller à sa santé en milieu scolaire. C’est pénible. Il faut de l’argent pour assurer son suivi médical », déplore-t-elle.
Pour le Centre pour la promotion du droit(Ceprod), l’Etat du Cameroun ne semble pas conscient de la souffrance et de la vulnérabilité spécifique des enfants sourds-muets et malentendants en milieu scolaire. Les options de l’Etat sont mises en question dans la gestion de ces enfants. Sa démarche est contraire à la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant (1989). L’article 23 de ce texte impose : «
1.
Les Etats parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité.
2.
Les Etats parties reconnaissent le droit à des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et encouragent et assurent, dans la mesure des ressources disponibles, l'octroi, sur demande, aux enfants handicapés remplissant les conditions requises et à ceux qui en ont la charge, d'une aide adaptée à l'état de l'enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié.
3.
Eu égard aux besoins particuliers des enfants handicapés, l'aide fournie conformément au paragraphe 2 du présent article est gratuite chaque fois qu'il est possible, compte tenu des ressources financières de leurs parents ou de ceux à qui l'enfant est confié, et elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l'éducation, à la formation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l'emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel. » Dans la même logique, l’article 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose : «
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit:
a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous;
b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité… »
Guy Modeste DZUDIE(Jade)