Dans une déclaration poignante rendue publique à l’occasion de la Toussaint, Mgr Samuel Kleda, Archevêque métropolitain de Douala, dresse un bilan sévère de la situation nationale après la présidentielle du 12 octobre 2025. Entre désillusion populaire, violences et dérive autoritaire, il appelle à une prise de conscience urgente des dirigeants pour éviter l’implosion.
L’élection présidentielle du 12 octobre 2025 était attendue comme un moment décisif, un « kairos », pour le Cameroun. « Une large majorité d'entre nous a exprimé ses désirs, sa volonté et ses aspirations profondes », rappelle Mgr Kleda. Pourtant, ce moment d’espérance s’est mué en profonde désillusion. Pour de nombreux citoyens, la conviction est amère : leur choix a été « méprisé et ignoré ». Cette déception, couplée à une « indignation » généralisée, a créé un terrain propice à l’explosion sociale.
La spirale des violences : du manifestant pacifique au pillage
La proclamation des résultats a effectivement engendré des marches majoritairement pacifiques. Mais le mouvement a « malheureusement connu de graves dérives ». L’Archevêque énumère, consterné, les actes de « vandalisme, pillage, vol » et les incendies qui ont ravagé édifices publics et commerces, plongeant des « propriétaires innocents dans le désarroi et la misère ». Il condamne fermement ces exactions, reconnaissant leur impact dramatique sur la vie économique et matérielle des populations dans plusieurs villes du pays.
La réponse de l'État : une répression dénoncée
Face à ces débordements, la réponse des forces de l’ordre et de sécurité est vivement critiquée par le prélat. Il alerte sur la montée en puissance de « violences verbales et physiques », d’« intimidations » et de « nombreuses arrestations ». Le bilan le plus sombre réside dans les « assassinats, surtout parmi les jeunes ». Mgr Kleda lance un appel solennel : « Il est indispensable que ces violences, ces intimidations, ces arrestations et assassinats prennent fin ».
Sous le feu des critiques, la situation actuelle soulève de graves questions sur le respect des engagements internationaux du Cameroun. Selon les termes du PIDCP (Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques), ratifié par le pays, les violations semblent patentes : le droit à la vie (Article 6) est menacé par les assassinats ; les arrestations arbitraires (Article 9) se multiplient ; les libertés d'expression et de réunion pacifique (Articles 19 et 21) sont étouffées par les intimidations et la répression. Cette dérive érode l'État de droit et creuse le fossé entre le peuple et ses dirigeants.
« On ne gouverne pas un peuple avec les armes »
La critique de Mgr Kleda va au-delà de la gestion de crise ; elle interpelle le fondement même de la gouvernance actuelle. « La démocratie ne s'accommode pas des coups de canon, des menaces, des arrestations arbitraires ou de l'intimidation des citoyens qui pensent différemment », assène-t-il. Dans une formule forte, il résume : « On n'organise pas une élection pour tuer les citoyens. On ne gouverne pas un peuple avec les armes ».
Il rappelle avec force la finalité du pouvoir : « Aucun gouvernement au monde ne peut gouverner sans le peuple. Le gouvernement est au service du peuple et a le devoir de l'aimer et de répondre à ses aspirations légitimes ». Citant l'apôtre Pierre, il exhorte les dirigeants à être des « modèles du troupeau » et non des « dominateurs ».
Le malaise profond : Un peuple à bout de souffle
Pour l’Archevêque, ces tensions post-électorales ne sont qu’un symptôme. La racine du mal est plus profonde, tapie dans une misère sociale et économique insoutenable. Le Cameroun profond « crie sa souffrance et sa misère ». Le tableau qu’il dresse est accablant : un chômage généralisé à 74%, un taux de pauvreté de 37,7%, et « plus de 10 millions de Camerounais [qui] vivent avec moins de 1000 francs CFA par jour ».
À cette précarité s’ajoutent l’absence de système économique fiable, le déficit énergétique chronique, la corruption, les inégalités criantes et « l'exploitation des richesses du pays par une minorité ». Cette situation pousse plus de 6 millions de Camerounais sur les routes périlleuses de l’exil. « Un peuple qui descend dans la rue pour crier son désespoir exprime une rupture », analyse-t-il, soulignant que la colère est d’abord née d’un manque d’espérance.
L'appel ultime : l'écoute et l'action
Le message de Mgr Kleda est un plaidoyer pour l’écoute et l’action. « Nos compatriotes demandent à être écoutés », insiste-t-il. Il est temps, selon lui, d’avoir la « ferme volonté » d’apporter des « solutions appropriées » à ces maux structurels. « Si des milliards de francs sont dépensés pour organiser des élections, on peut également en trouver pour le bien-être des populations », fait-il remarquer, appelant à une réorientation urgente des priorités nationales.
Pour terminer, dans un élan de foi et de supplication, l’Archevêque de Douala en appelle à l’Esprit Saint pour éclairer les dirigeants et le peuple, et à la Vierge Marie, patronne du Cameroun, d’intercéder pour la nation. Un message fort qui a l’air d’une ultime alerte avant que la rupture ne devienne irrémédiable.
DEJIO M.