Appel à manifester, répression sanglante. Le 26 octobre 2025, à l’appel de Issa Tchiroma Bakary, des milliers de Camerounais sont descendus dans la rue pour contester les résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre. Des villes ont été le théâtre de marches pacifiques, mais aussi de tirs à balles réelles. Le bilan est lourd : entre quatre et sept morts, de nombreuses arrestations et une colère populaire qui monte.
Dimanche 26 octobre 2025. Il est 15 heures. Comme prévu, des centaines de Camerounais répondent à l'appel du candidat Issa Tchiroma Bakary. Il les avait conviés à une marche pacifique pour réclamer sa victoire à la présidentielle du 12 octobre . Le mot d'ordre : montrer au monde que le peuple a choisit son leader.
À Douala, l'épicentre de la contestation, les quartiers de New-Bell, Ndokoti et Ndog-Passi s'embrasent. Des jeunes brandissent des drapeaux et scandent « On veut Tchiroma ! » . L'ambiance est déterminée. Mais très vite, les gaz lacrymogènes crépitent. Puis, les détonations claquent.
« Ils tiraient dans tous les sens, même sur ceux qui couraient pour se cacher », témoigne un habitant de New-Bell, encore sous le choc . Un autre participant, anonyme, confirme : « Ils ont commencé par des gaz lacrymogènes, puis ils ont enchaîné par des tirs à balles réelle ». Et d'ajouter, horrifié : « Ils ont tiré, trois personnes, trois corps sont tombés devant nous » .
À Garoua, le fief de Tchiroma, la scène est différente mais la fin est similaire. Ici, plusieurs centaines de militants défilent avec des banderoles « Tchiroma 2025 ». Ils scandent « Au revoir Paul Biya, Tchiroma arrive ». La gendarmerie, présente en masse, laisse faire pendant deux heures. Puis, elle disperse la foule à coup de gaz lacrymogènes.
Dans la capitale Yaoundé, la présence policière est renforcée. Les manifestations, sporadiques, sont étouffées dans l'œuf. Des arrestations ont lieu dans le quartier de Tsinga.
Un bilan humain lourd
Le bilan est lourd et encore provisoire. Les autorités de la région du Littoral ont reconnu la mort d'au moins quatre personnes à Douala. Le Collectif des Avocats du Président Tchiroma, lui , avance le chiffre de sept morts, évoquant des personnes « tuées par balles » . De nombreuses arrestations sont signalées à Yaoundé, à Douala et dans plusieurs autres villes. Au moins deux leaders de la société civile, Djeukam Tchameni et Anicet Ekane, ont été interpellés à leurs domiciles de Douala dès le vendredi précédent les manifestations .
Une répression d'une rare violence
La question est sur toutes les lèvres : les forces de l'ordre ont-elles utilisé des balles réelles ? La réponse est oui. Des manifestants à Douala ont exhibé des douilles de munitions devant un journaliste, preuves matérielles à l'appui . Le gouvernement, par la voix du gouverneur de la région du Littoral, justifie ces actes. Il parle d'attaques de brigades de gendarmerie et de commissariats par des manifestants. Plusieurs éléments des forces de sécurité auraient été blessés .
Face à cela, le pouvoir camerounais reste intraitable. Le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, avait dénoncé samedi un « projet insurrectionnel » . Le gouverneur Samuel Dieudonné Ivaha Diboua qualifie l'appel à manifester d'« irresponsable » .
Une contestation qui a envahi sur sept régions
Les manifestations n'ont pas été cantonnées à une seule ville. Les reportages et dépêches confirment des rassemblements dans au moins sept des dix régions du Cameroun :
- Le Littoral (de nombreux quartiers de Douala)
- L’Ouest (Bagangté et Bafang)
- Le Nord (Garoua et autres villes)
- L'Extrême-Nord (Maroua et autres villes)
- L’Adamaoua (Ngaoundere et autres villes)
- Le Centre (Yaoundé)
- Le Sud-Ouest (Buea)
Cette dispersion géographique montre une colère qui dépasse les simples bastions de l'opposition. Ce matin du 27 octobre 2025, l'attention reste braquée sur le Conseil constitutionnel, qui doit proclamer le vainqueur officiel dans la journée.
Violations grave des droits humains
La répression violente de manifestations pacifiques viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L'article 21 garantit le droit de réunion pacifique. Les Principes de base de l'ONU stipulent que les armes à feu ne sont utilisables qu'en cas de menace imminente de mort. Le recours aux balles réelles contre une foule pacifique est une atteinte directe au droit à la vie. Cette force disproportionnée et non nécessaire bafoue les engagements internationaux du Cameroun .
Quelle issue pour la crise ?
Le pays est à la croisée des chemins. Plusieurs scénarios sont possibles. Soit l'étouffement par la force : le pouvoir pourrait continuer à réprimer toute contestation, risquant d'alimenter un cycle de violence et de ressentiment durable.
Soit l'appel au dialogue : sous la pression interne ou internationale, le gouvernement pourrait, contre toute attente, engager des discussions avec l'opposition pour apaiser les tensions.
Soit encore la judiciarisation du conflit : l'opposition pourrait se tourner vers des recours juridiques, bien que l'indépendance de la justice soit questionnée par les détracteurs du régime.
Alors que le Conseil constitutionnel s'apprête à rendre son verdict, les Camerounais s'interrogent. Le pays saura-t-il éviter une nouvelle fracture nationale ? La suite dépendra de la responsabilité des uns et de la détermination des autres. Mais une chose est sûre : le sang versé à Douala et dans le septentrion a déjà marqué un tournant dramatique dans l'histoire politique du Cameroun.
Étienne TASSÉ