Le pays retient son souffle. Alors que le Conseil constitutionnel doit proclamer lundi les résultats de la présidentielle, Issa Tchiroma Bakary continue de crier victoire et appelle les Camerounais à marcher pacifiquement pour la défendre. Dans un climat de tension extrême, le pouvoir répond par la répression et des arrestations ciblées.
Le Cameroun vit au rythme d’une attente fiévreuse. Le Conseil constitutionnel, présidé par Clément Atangana, doit proclamer le lundi 27 octobre les résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre. Cet événement, prévu au Palais des Congrès de Yaoundé, cristallise toutes les craintes. Le Conseil, dont les membres ont été nommés par Paul Biya, est décrié pour sa partialité présumée. Il a déjà rejeté huit recours contre le scrutin, ouvrant la voie à une validation des résultats en faveur du président sortant.
Dans la capitale et les grandes villes, la sécurité a été renforcée. Des patrouilles policières, des points de contrôle et des interdictions de circuler pour les motos-taxis ont été instaurés. À Garoua, fief de Tchiroma, la situation est explosive : des barrages improvisés, des affrontements entre jeunes manifestants et forces de l’ordre, des témoignages de tirs, etc. Une enseignante y a perdu la vie, tuée par un tir de gendarme.
Tchiroma, l’homme qui défie Biya
Issa Tchiroma Bakary, 76 ans, ancien ministre et porte-parole du gouvernement, a choisi la rupture. Deux jours après le scrutin, il s’est autoproclamé vainqueur. « Je tiens à le dire avec gravité et simplicité : le peuple a fait son choix. Et ce choix doit être respecté », a-t-il déclaré . Il affirme avoir obtenu « plus de 50 % des voix » et menace : si le Conseil proclame des résultats « falsifiés », le peuple « n’aura d’autre choix que de prendre son destin en main ».
Son appel à une marche pacifique nationale ce dimanche 26 octobre à 15h vise à faire plier le Conseil. Pour Jeune Afrique, « la réussite d’un tel plan est toutefois tout sauf assurée ». Un diplomate à Yaoundé interrogé par Rfi redoute « l’installation d’une forme de guerre larvée dans le septentrion ». Et pour l’Agence France‑Presse (AFP), « La jeunesse veut être l’actrice du changement mais se heurte à un système figé ».
La répression s’organise
La réponse du pouvoir est brutale. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a annoncé « plusieurs interpellations » et la transmission d’une vingtaine de dossiers à la justice militaire pour « insurrection et incitation à la révolte ». Des arrestations ciblées de cadres soutenant Tchiroma ont eu lieu : Anicet Ekane, Djeukam Tchameni, Pr Jean Calvin Aba’a Oyono...
Ces actes violent plusieurs articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Les arrestations et détentions arbitraires de partisans de l'opposition violent l'article 9 sur le droit à la liberté et à la sécurité. La répression des manifestations pacifiques bafoue l'article 21 reconnaissant le droit de réunion pacifique.
Du côté du pouvoir, on affiche un calme trompeur. La Commission nationale de recensement des votes donne Paul Biya, 92 ans, vainqueur avec 53,66 % des suffrages. Le gouvernement multiplie les appels au calme. Cameroon Tribune, proche du pouvoir, titre «Vigilance ! » et dénonce un « vaste projet de manipulation, voire de déstabilisation ». Mais pour Le Monde Afrique, « le "biyayisme" – un mélange de clientélisme tribal, corrompu et répressif – se meurt ». Le journal estime que Tchiroma « pourrait être sur le point de donner le coup de hache fatal » à un régime vermoulu.
Et maintenant ?
La balle est dans le camp du Conseil constitutionnel. Son verdict, quel qu’il soit, plongera le Cameroun dans l’inconnu. Un analyste en sécurité, Anthony Antem, prévient : « D'après notre expérience passée, nous constatons que la population n'est pas disposée à accepter les résultats qui seront proclamés ».
La jeunesse, qui représente plus de 60 % de la population, est en première ligne. « Nous voulons le changement, pas la peur », confie un jeune manifestant de Garoua. Pour RFI, jamais un scrutin au Cameroun n’aura été aussi incertain . Le pays tout entier retient son souffle. L’espoir et la peur se mêlent. La suite dépendra de la rue, et de la volonté d’un homme de 76 ans qui a décidé de jouer le tout pour le tout.
Étienne TASSÉ