Cameroun : une institutrice tombe sous les balles de la crise post-électorale

Cameroun : une institutrice tombe sous les balles de la crise post-électorale

La mort de Zouhairatou Hassana, une jeune enseignante tuée par balle mardi 21 octobre 2025 à Garoua, est devenue le symbole des tensions post-électorales qui enflamment le Cameroun. Son décès, survenu lors de la dispersion d'une manifestation, jette une lumière crue sur la défiance populaire et la violence qui entourent l'attente des résultats de la présidentielle.

Dans le quartier de Poumpoumré à Garoua, l'air est lourd. Les éclats de voix habituels des enfants ont été remplacés par un silence de plomb. Devant une maison, un groupe de femmes est assis à même le sol, portant le deuil. La dépouille de Zouhairatou Hassana, institutrice dans une école maternelle, les a quittés pour toujours.

Un voisin, sous couvert d'anonymat, revient avec émotion sur les moments qui ont suivi la tragédie. « Elle saignait abondamment. Il n'y avait pas de véhicule sur place pour l'amener à l'hôpital », raconte-t-il. Le chaos a rendu les secours presque impossibles. « On a essayé de la mettre sur une moto. Ça n'a pas tenu. » Finalement, c'est à l'aide d'une civière empruntée à la mosquée du quartier, puis dans un tricycle, qu'elle a été transportée vers l'hôpital le plus proche. Mais il était déjà trop tard. « Malheureusement, arrivée à l'hôpital, elle a rendu l'âme parce qu'elle avait perdu beaucoup de sang. »

Sur le lieu exact où Zouhairatou s'est effondrée, une douille témoigne encore de la violence du geste. C'est ici, alors qu'elle était inquiète pour sa jeune sœur et qu'elle était sortie à sa recherche, qu'une balle l'a mortellement touchée.

Un contexte explosif : la colère de l'Opposition

La mort de Zouhairatou n'est pas un incident isolé. Elle s'inscrit dans un contexte de très vives tensions post-électorales suite au scrutin présidentiel du 12 octobre. La ville de Garoua est considérée comme le fief d'Issa Tchiroma Bakary, le candidat du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC). Ce dernier a revendiqué sa victoire à l'élection et rejette les résultats préliminaires de la commission électorale, qui donnaient le président sortant Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, vainqueur avec un peu plus de 53% des voix.

Cette défiance a embrasé la rue. Depuis la publication de ces tendances, des manifestants, à pied ou à moto, parcourent les rues de Garoua en scandant le nom de leur candidat. La nuit, des jeunes descendent avec des casseroles, créant une symphonie de protestation. La colère n'est pas contenue à Garoua. Des rassemblements de soutien à l'opposant, dénonçant un « hold-up électoral », ont aussi été dispersés par les forces de l'ordre dans les villes de Yaoundé, Douala, Ngaoundere, Maroua, Guider... À Dschang, la violence des manifestations a même conduit à l'incendie du palais de justice.

Témoignages et colère 

Au-delà du chagrin, c'est la colère qui domine dans l'entourage de la victime. La famille est partagée « entre les sentiments de deuil, de colère, et de tristesse », rapporte un témoin. La colère provient surtout de l'absence de réponses. « Colère parce que, jusqu'ici, aucune information ne leur a été donnée sur notamment l'origine de la balle et surtout l'identité du tireur », peut-on lire dans le témoignage recueilli. Pour beaucoup dans le quartier, l'identité de l'auteur du tir ne fait pourtant aucun doute : les voisins pointent du doigt un gendarme.

Le même sentiment d'injustice est exprimé par un ami de la famille, qui s'interroge sur le bien-fondé de l'intervention des forces de l'ordre. « Cette sortie des hommes armés ne se justifie pas, encore moins le fait de tirer à balles réelles. Il faudrait qu'on nous dise pourquoi cela. On attend des réponses, on veut des explications. »

Les Droits humains en péril

La mort de Zouhairatou Hassana intervient dans un paysage camerounais où les préoccupations en matière de droits humains sont récurrentes. Le recours à la force meurtrière lors de manifestations, illustré par ce drame, soulève des questions fondamentales sur le droit à la vie et à la sécurité des personnes. Le droit de manifester pacifiquement semble se heurter à une répression jugée disproportionnée par de nombreux observateurs. Ce cas n'est pas isolé ; il s'ajoute à une liste de préoccupations internationales concernant les libertés fondamentales et les conditions de détention dans le pays. La mort d'une civile, dans des circonstances aussi tragiques, exige une enquête indépendante et transparente pour établir les responsabilités et rendre justice.

L'attente anxieuse des résultats définitifs

Alors que les funérailles de Zouhairatou Hassana étaient célébrées, la crise politique, elle, se poursuivait. Le Conseil constitutionnel du Cameroun a rejeté, mercredi 22 octobre, tous les recours contestant l'élection présidentielle, ouvrant la voie à la proclamation des résultats définitifs, annoncée pour le lundi 27 octobre.

Dans un message vidéo, Issa Tchiroma a averti qu'il n'accepterait pas des résultats « falsifiés ». « Si le Conseil Constitutionnel proclame des résultats falsifiés et tronqués, il sera complice d'une trahison... Le peuple ne le supportera pas », a-t-il déclaré, tout en se disant ouvert à une transition pacifique. Cette annonce n'a fait qu'attiser les craintes d'une nouvelle flambée de violence. L'Université de Garoua a, par précaution, suspendu les cours jusqu'à vendredi. La famille de Zouhairatou, elle, n'attend plus de résultats électoraux, mais une seule chose : « Que les responsabilités soient dégagées. »

Étienne TASSÉ