La Commission nationale de recensement des votes a annoncé Paul Biya en tête de l’élection présidentielle du 12 octobre dernier avec 53,66 % des voix, contre 35,19 % pour Issa Tchiroma Bakary. Celui-ci, de son côté, clame la victoire et appelle à la mobilisation. Le pays s’enfonce dans une crise post-électorale explosive.
Issa Tchiroma Bakary, chef du Front pour le salut national du Cameroun, a jeté un pavé dans la mare. Deux jours après le scrutin du 12 octobre, il a publié une vidéo sur les réseaux sociaux. Il s’y déclare vainqueur de l’élection présidentielle. Il exige que Paul Biya, au pouvoir depuis 43 ans, « honore la vérité des urnes » en lui passant cet « appel de félicitations».
Ses partisans ont accueilli cette annonce avec euphorie. Plusieurs candidats de l’opposition l’ont rapidement félicité. Mais le gouvernement camerounais a immédiatement riposté. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, avait prévenu : toute annonce non officielle des résultats équivaut à une « haute trahison » . Seul le Conseil constitutionnel peut proclamer le vainqueur. Son délai court jusqu’au 27 octobre .
La rue s'enflamme, le pouvoir réprime
La tension est montée d’un cran dans plusieurs villes. À Garoua, fief de Tchiroma, des jeunes se relaient jour et nuit pour protéger sa résidence. Ils craignent son arrestation. « Nous sommes fatigués. Nous avons besoin de changement », explique un habitant .
À Yaoundé, Douala et Dschang, des manifestations ont éclaté. Les protestataires dénoncent une « fraude électorale » et une « victoire volée » . La réponse des forces de l’ordre a été ferme. Gaz lacrymogènes, arrestations, tirs à balles réelles. À Garoua, une enseignante a été tuée par balle le mardi 21 octobre 2025, au moins 30 personnes ont été interpellées. Vingt d’entre elles comparaîtront devant un tribunal militaire pour « insurrection », précise Paul Atanga Nji, le ministre de l'Administration territoriale.
Les observateurs électoraux, comme la Conférence épiscopale nationale, ont relevé des irrégularités : bulletins manquants, listes électorales obsolètes, modifications des procès verbaux, bourrage des urnes, expulsions des scrutateurs de l’opposition de certains bureaux de vote…. Autant d’éléments qui alimentent la défiance .
Biya, le pari de la longévité
Paul Biya, 92 ans, brigue un huitième mandat. Le 21 octobre, la Commission nationale de décompte des votes lui a accordé 53,66 % des suffrages. Tchiroma suivrait avec 35 % . Le Conseil constitutionnel doit entériner ces résultats.
Le régime Biya repose sur un contrôle strict de l’appareil d’État.Son principal rival, Maurice Kamto, a été écarté de la course par la Commission électorale (Elecam) .
Le pays traverse pourtant des crises multiples. Conflit séparatiste dans les régions anglophones. Insécurité dans l’Extrême-Nord due à Boko Haram. Pauvreté et chômage endémique . Malgré cela, le régime garde la main. « Tant que les institutions soutiennent Biya, l’opposition a peu de prise », analyse un expert .
Un avenir très incertain
La situation reste explosive. Tchiroma refuse de céder. Il a publié ses propres chiffres : près de 60 % des voix . Il accuse le pouvoir de « truquage» . Son appel à des manifestations nationales et internationales pourrait amplifier la mobilisation.
Le monde observe. La légitimité du scrutin est questionnée. La communauté internationale craint une instabilité durable dans ce pays d’Afrique centrale, pourtant considéré comme un pilier régional . La balle est dans le camp du Conseil constitutionnel. Sa décision, attendue le 27 octobre, déterminera l’issue immédiate de la crise. Mais la fracture, elle, est déjà profonde.
DEJIO M.