Alors que le Président Paul Biya vient d’autoriser un nouvel emprunt de 200 milliards de FCFA sur les marchés internationaux, une question brûlante se pose : pourquoi le Cameroun, pourtant doté de richesses considérables, peine-t-il à décoller, tandis que des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire accélèrent leur croissance ? Derrière les chiffres alarmants du FMI et un déclin économique persistant, se cache une réalité implacable : des décennies d’une gouvernance défaillante et d’une stratégie de développement en panne.
Le décret présidentiel n° 2025/211, publié ce 19 mai, donne le feu vert au Ministre des Finances pour contracter 200 milliards de FCFA (environ 300 millions d’euros) sur les marchés financiers internationaux. Officiellement, ces fonds doivent combler les besoins de trésorerie de l’État en 2025. Mais dans un contexte où la dette camerounaise frôle déjà 45 % du PIB selon le FMI, cet emprunt suscite l’inquiétude.
La raison principale de ce nouvel endettement réside dans le déficit chronique des finances publiques. Le Cameroun dépense plus qu’il ne gagne, avec un déficit budgétaire estimé à 4,5 % du PIB en 2024, bien au-delà des normes de l’UEMOA qui plafonnent à 3 %. Malgré une croissance officielle de 4 % en 2024, les rentrées fiscales stagnent, signe d’une économie peu productive et d’une fraude massive.
Le Cameroun en perte de vitesse
Il y a 30 ans, le Cameroun était considéré comme un modèle en Afrique noire. Aujourd’hui, il est distancé par des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire. En 2024, la croissance du PIB camerounais atteignait péniblement 4 %, contre 6,8 % pour la Côte d’Ivoire et 5,2 % pour le Ghana. Le PIB par habitant camerounais stagne à 1 600 dollars, loin derrière les 2 400 dollars de la Côte d’Ivoire et les 2 200 dollars du Ghana.
Cette contre-performance s’explique par plusieurs facteurs structurels. La Côte d’Ivoire a su moderniser son agriculture autour du cacao et de la noix de cajou, attirant trois fois plus d’investissements directs étrangers que le Cameroun. Le Ghana, malgré une dette élevée à 80 % du PIB, a diversifié son économie vers le pétrole et les services financiers tout en améliorant son climat des affaires.
Pendant ce temps, le Cameroun reste dépendant d’une économie pétrolière qui ne représente plus que 20 % de ses recettes, tout en souffrant d’une bureaucratie étouffante qui le classe 126e sur 190 pays au Doing Business. Les infrastructures critiques comme les ports et les routes se dégradent, freinant le développement économique.
Scandales retentissants
Le cœur du problème réside dans la gouvernance. Le Cameroun occupe la 144e place sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Des scandales retentissants comme l’affaire des avions présidentiels, où 30 milliards de FCFA ont été détournés, ou les surfacturations systématiques dans les marchés publics ( construction des stades, marchés Covid…) ont érodé la confiance dans les institutions.
Les choix budgétaires apparaissent souvent incohérents. Le budget 2025 consacre 1 200 milliards de FCFA à la défense et à la sécurité, contre seulement 400 milliards pour l’éducation et la santé, secteurs pourtant cruciaux pour le développement. Les grands projets infrastructurels, comme les autoroutes et les stades, restent fréquemment inachevés ou sous-utilisés.
Le diagnostic de Paul Biya
Il y a 15 ans, Paul Biya avait dressé le diagnostic. «Que nous a-t-il manqué jusqu’à présent pour parvenir à stimuler notre économie ? », s'interrogeait-il dans son discours à la nation du 31 decembre 2012. Et de répondre lui-meme : «L’action gouvernementale a souffert d’un déficit d’esprit d’entreprise ... L’administration a péché par immobilisme. Nous devons venir à bout de cette inertie qui nous a fait tant de mal. Autre ennemi sournois et redoutable, la corruption».
Le FMI exprime des réserves croissantes. Dans son dernier rapport d’avril 2025, l’institution souligne que les réformes structurelles tardent à se concrétiser, notamment en matière de gestion des finances publiques et de lutte contre la corruption. Elle met en garde contre une dette qui pourrait devenir insoutenable si les recettes ne progressent pas significativement.
Solutions: audits indépendants et sanctions
Des solutions existent pourtant. Assainir les finances publiques par des audits indépendants et des sanctions contre les détournements constituerait un premier pas. Diversifier l’économie en réduisant la dépendance au pétrole au profit de l’agro-industrie et du numérique permettrait de créer de nouvelles richesses. Enfin, améliorer le climat des affaires en simplifiant les procédures administratives et en luttant efficacement contre la corruption pourrait redynamiser l’investissement privé.
Des atouts pour rebondir
Le Cameroun dispose d’atouts considérables pour rebondir : des ressources pétrolières, des terres agricoles fertiles et une jeunesse dynamique. Mais sans une gouvernance transparente et efficace, les emprunts comme celui de 200 milliards ne feront que repousser l’échéance d’une crise plus grave. La question reste ouverte : nos dirigeants prendront-ils enfin le virage des réformes indispensables ?
Étienne TASSÉ