Liberté de la presse: le Cameroun à la traîne

Liberté de la presse: le Cameroun à la traîne

Alors que le pays se prépare pour la présidentielle d’octobre 2025, les médias camerounais naviguent entre alignement forcé et répression brutale. Journalistes assassinés, emprisonnés, menacés : dans l’ombre du pouvoir, la liberté de la presse agonise, d'après  Reporters Sans Frontières. Plongée dans un univers où informer peut coûter la vie.

Le Cameroun, souvent présenté comme un havre de stabilité en Afrique centrale, cache une réalité bien plus sombre pour ceux qui osent tenir un stylo ou un micro. Avec plus de 600 journaux, 200 radios et 60 chaînes de télévision, le pays affiche une diversité médiatique impressionnante. Pourtant, selon Reporters Sans Frontières (RSF), derrière cette façade riche en couleurs, se cache une machine à broyer les voix dissidentes.  

Les professionnels de l’information y évoluent dans un environnement hostile et précaire, alerte RSF. Un constat glaçant, illustré par le sort tragique de Martinez Zogo, directeur de la radio Amplitude FM, retrouvé mort en janvier 2023, le corps mutilé après cinq jours de disparition. Son crime ? Avoir dénoncé la corruption. Son châtiment ? Une exécution sommaire, dans l’indifférence quasi générale.  

La peur au ventre, la censure au quotidien

Dans ce pays, les médias privés survivent à peine. «  Il est impossible d’adopter une ligne éditoriale critique sans faire face à d’importantes menaces » , souligne RSF. Les chaînes comme Vision 4 et Bnews le savent bien, et clament haut et fort leur allégeance au régime.  En octobre 2024, un communiqué ministériel a interdit tout débat sur l’état de santé du président, alors que les rumeurs enflaient. Une omerta imposée, un an avant l’élection présidentielle. 

"Le degré d’impunité pour les auteurs d’actes de violence envers les journalistes reste fort dans le pays", déplore RSF.  L’histoire de Kingsley Fumunyuy Njoka, journaliste indépendant condamné à dix ans de prison pour "sécession et complicité de bande armée", est un symbole de cette répression. Arrêté en 2020 sans mandat, il a croupi quatre ans en détention provisoire avant son procès. "Un procès inéquitable, en violation des lois camerounaises", tonne son avocat, Me Amungwa Tanyi Nicodemus.  

Son cas n’est pas isolé. Amadou Vamoulké, ex-directeur de la CRTV, purge une peine de 32 ans pour des accusations de détournement qualifiées de "sans fondement" par RSF. Samuel Wazizi, lui, est mort en détention en 2019 après avoir été accusé de soutien aux séparatistes anglophones. Officiellement, il serait décédé d’une maladie. Officieusement, son corps portait les stigmates de la torture.  

La crise anglophone, zone risquée pour la presse

Couvrir la guerre dans les régions anglophones, c’est signer son arrêt de mort. Plus de 6 000 morts des suites de ce conflit depuis 2017, mais aucune liberté pour en parler, dénonce RSF. Car, estime cette organisation, les journalistes qui s’y risquent sont accusés de "sécession", traînés devant les tribunaux militaires, ou pire… disparaissent.  Anye Nde Nsoh, chef du bureau de *The Advocate*, a été assassiné en mai 2023 à Bamenda. Son crime était d'avoir rapporté les exactions des deux côtés du conflit. 

Sans moyens, pas de résistance possible. Les journalistes camerounais survivent dans une précarité structurelle. "L’aide à la presse existe, mais son montant est jugé insuffisant et sa distribution dépend de l’alignement des médias", révèle RSF. Résultat : corruption, favoritisme, et médias critiques sont étranglés financièrement.  

Le Cameroun, 131e sur 180 dans le classement RSF 2025, s’enfonce chaque jour un peu plus dans l’obscurantisme médiatique.  Dans ce pays où la plume est un couteau à double tranchant, les journalistes marchent sur un fil, entre devoir d’informer et peur de mourir. Pendant ce temps, les médias alignés continuent de chanter les louanges du pouvoir, tandis que les voix libres étouffent dans l’ombre.  

DEJIO M.