À quelques mois d’une présidentielle décisive, la récente nomination d'un membre issu du RDPC au Conseil constitutionnel renforce les doutes sur l’équité du processus électoral au Cameroun. Analyse d'un verrouillage institutionnel qui illustre la dérive anti-démocratique du pays.
La nomination récente d’un proche du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au Conseil constitutionnel confirme un phénomène ancien : la captation des organes de régulation du processus électoral par le pouvoir en place. Institution théoriquement garante de la transparence et de la régularité des élections, le Conseil constitutionnel apparaît de plus en plus comme une extension du parti présidentiel.
Cette dynamique est pointée dans l’analyse de l’EIU (Economist Intelligence Unit), une institution britannique spécialisée dans l’analyse des risques politiques. Selon Joseph Siegle et Hany Wahila, experts de l’EIU, « Biya et le RDPC ont maintenu leur mainmise sur la politique camerounaise en contrôlant toutes les institutions gouvernementales, y compris la commission électorale et le pouvoir judiciaire ». Dans ce contexte,estiment ces chercheurs, les perspectives d'une élection présidentielle libre et équitable en octobre 2025 semblent compromises.
Le Cameroun classé parmi les régimes autoritaires
Le Cameroun figure, selon le Democracy Index 2024 de l'Economist Intelligence Unit (un classement mondial des démocraties) , parmi les 28 régimes autoritaires d'Afrique. Avec un score de 2,56/10 en 2023, il occupe la 138ᵉ place mondiale. Ce classement reflète la dégradation continue de ses indicateurs démocratiques : les élections s'y déroulent dans un climat de forte contestation, avec des accusations répétées de fraudes électorales; la suppression en 2008 de la limitation des mandats présidentiels a prolongé le règne de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982; les libertés civiles sont systématiquement restreintes, avec des manifestations interdites, des journalistes persécutés voire tués, et des opposants emprisonnés.
Siegle et Wahila soutiennent que « les règles du jeu électoral restent très inégales », un constat renforcé par la répression des partis d'opposition. C’est le cas du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) dont les manifestations sont systématiquement interdites ou de l'Alliance politique pour le changement (APC) déclarée « illégale ».
Une élection présidentielle sous tension
Le scrutin d’octobre 2025 est attendu comme un test majeur pour la crédibilité politique du Cameroun. D'un côté, le président Biya, aujourd'hui âgé de 92 ans, entend prolonger son long mandat. De l'autre, une opposition affaiblie mais qui sous le leadership de Maurice Kamto, espère déjouer un système électoral clairement déséquilibré.
Le processus électoral reste entaché par de nombreux obstacles structurels. Par exemple, une interprétation biaisée de la loi électorale pourrait invalider la candidature du leader de l’opposition Maurice Kamto. Tout comme les arrestations arbitraires de militants et les poursuites judiciaires contre des journalistes critiques du régime qui se multiplient. Ensuite, la suspension de médias jugés trop critiques limite le pluralisme de l'information. Enfin, le contexte sécuritaire instable, notamment dans les régions anglophones et dans l'Extrême-Nord, pourrait affecter la participation électorale, contribuant à un déséquilibre encore plus grand.
Violation des droits humains
Le Cameroun viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en interdisant les manifestations pacifiques, en emprisonnant des opposants politiques, en muselant la presse indépendante et en organisant des élections non libres.
Alors que le Cameroun se dirige vers une transition politique inévitable, la question centrale reste celle soulevée par Joseph Siegle et Hany Wahila : « Saurons-nous voir émerger des forces réformistes capables de réorienter la trajectoire politique du pays ? ».
À ce jour, les signaux envoyés par le pouvoir en place - nominations partisanes, manipulation des règles électorales, répression - laissent craindre une élection verrouillée et sans réelle alternance. La présidentielle de 2025 s’annonce ainsi comme un carrefour : celui où le Cameroun devra choisir entre la continuité du régime et l’ouverture, encore hypothétique, vers un renouveau démocratique.
Étienne TASSÉ