Expulsions des Camerounais en Guinée Équatoriale  : Une tragédie cyclique

Expulsions des Camerounais en Guinée Équatoriale : Une tragédie cyclique

Le sol camerounais a accueilli dans la stupeur, 231 de ses enfants refoulés comme de vulgaires intrus. Hommes, femmes, et enfants balayés en un claquement de doigts par les autorités équato-guinéennes. Neuf jours de détention, des familles séparées, des biens abandonnés, et un retour forcé à Kye-Ossi, les mains vides, le cœur en larmes. Sous le regard impuissant de l’État camerounais, ces hommes et femmes, pourtant en règle, ont vu leurs rêves réduits en cendres. 

Ce lundi 22 avril, le poste frontalier de Kye-Ossi résonne des pas de 231 Camerounais expulsés, les yeux pleins de désespoir. 28 femmes et 203 hommes, jadis jardiniers, commerçants, ouvriers ou techniciens, traînent leur douleur dans un commissariat d’immigration débordé. Certains disent avoir été réveillés par des bottes, d’autres par la crosse d’une arme. Des téléphones confisqués, des enfants arrachés au sommeil. Une  dame raconte, la voix brisée : « Ils ont défoncé la porte de l’hôtel. Mon bébé de 3 ans hurlait pendant qu’ils me tordaient le bras. »

Selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des centaines de Camerounais ont été massés par les forces de sécurité équato-guinéennes, puis escortés jusqu’à la frontière. Le détonateur : une altercation entre commerçants à Bata, qui aurait dégénéré en affrontements. En représailles, les autorités ont lancé une purge collective, sans distinction entre innocents et coupables. Une chasse à l’homme légalisée par le silence.

Le mépris des Camerounais

Ce scénario tragique n’est que la répétition d’une pièce macabre jouée l’année précédente. En janvier, mars puis avril 2024, plus de 950 Camerounais avaient déjà été expulsés. Des rafles nocturnes, des coups, des cris, des portes enfoncées. Le tout sous l’œil complice ou indifférent des autorités camerounaises. Les biens pillés, les commerces rasés, les économies envolées. À Kye-Ossi, un agent local témoigne : « Certains vivaient là-bas depuis plus de 15 ans. Ils n’ont plus rien, pas même une carte d’identité. »

En novembre 2022, le Cameroun avait dû débloquer 125 millions de FCFA pour rapatrier 713 ressortissants déjà chassés de Guinée équatoriale. Détentions arbitraires, contrôles musclés, xénophobie latente. Les signes étaient là, criants, alarmants. Mais Yaoundé a préféré les ignorer.

Un droit international piétiné, l’État camerounais silencieux

Ces expulsions massives bafouent de manière flagrante le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Guinée équatoriale a pourtant ratifié. En expulsant sans distinction ni procédure judiciaire des personnes en situation régulière, elle viole l’article 13 du PIDCP, qui garantit le droit à un examen équitable avant tout renvoi. Confiscation de biens, séparation familiale, et absence de notification légale sont autant de coups portés à la dignité humaine, pourtant sacralisée par le droit international.

Face à ces violations répétées, l’attitude du gouvernement camerounais interpelle. Depuis des années, ses réponses sont évasives, diplomatiques, lentes. Comme si la douleur de ses citoyens n’était qu’un murmure lointain. Aucune action en justice internationale, aucun soutien systématique aux victimes, aucune pression réelle sur Malabo. Alors que les expulsés pleurent la perte de leurs biens, le gouvernement semble absent, prisonnier d’un mutisme honteux. En refusant d’intervenir fermement, il laisse son peuple devenir une monnaie d’échange diplomatique, un simple pion dans un jeu de frontières.

Un exil sans fin

Les visages défaits de ceux qui arrivent à Kye-Ossi disent l’indicible : l’humiliation, l’abandon, le vertige du vide. Le Cameroun, leur refuge, leur paraît soudain étranger. Comme un arbre qui ne reconnaît plus ses propres racines. Et pendant ce temps, d'autres vagues d'expulsions s’annoncent, prêtes à emporter encore des centaines de vies.

Combien de fois faudra-t-il que nos compatriotes soient refoulés comme des malpropres avant qu’on n’érige un mur de dignité et de justice ? Le vent de l’indifférence souffle fort. Il est temps qu’il rencontre la résistance d’un État debout, protecteur, intransigeant face à l’humiliation de ses enfants. Car aujourd’hui, l’exil n’est plus une fuite. Il est imposé, programmé, orchestré. 

Étienne TASSÉ