Féminicides au Cameroun : Une vague de sang qui ne tarit pas

Féminicides au Cameroun : Une vague de sang qui ne tarit pas

Le Cameroun, terre de diversité culturelle, est aujourd’hui le théâtre d’une tragédie qui ébranle les consciences. Les féminicides, ces meurtres de femmes parce qu’elles sont femmes, se multiplient à un rythme effréné, laissant derrière eux des familles dévastées et une société indignée. En ce mois de mars 2025, alors que le monde célèbre la Journée internationale des droits des femmes, le Cameroun pleure ses filles, ses sœurs, ses mères, fauchées dans la fleur de l’âge par la violence masculine. Mais au-delà des chiffres glaçants et des récits déchirants, une question brûlante se pose : où sont les lois qui les protègent ? 

Le matin du 7 septembre 2023, un silence lourd de douleur a envahi la Montée Jouvence à Yaoundé. C’est là, dans son domicile, que le corps sans vie de Suzanne Zamboué a été découvert. Ligotée, étouffée, elle a succombé à la barbarie de ses bourreaux, dont les visages restent encore dans l’ombre. Malgré l’ouverture d’une enquête pour mort suspecte par le tribunal de grande instance du Mfoundi, les suspects courent toujours, laissant derrière eux un sentiment d’impunité insupportable. Suzanne Zamboué n’était pas qu’une victime. Elle était l’épouse de Pascal Zamboué, Coordonnateur du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) pour la région du Centre. Quand la lumière sera-t-elle faite sur ce crime insupportable ?

Chiffres accablants : 65 féminicides en un an

Depuis le début de l’année 2024, plus de 65 féminicides ont été recensés au Cameroun, selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Ces chiffres, aussi froids qu’accablants, cachent des réalités insoutenables. Chaque jour, des femmes sont battues, violées, mutilées, tuées, souvent par ceux qui devraient les aimer et les protéger. Leur crime ? Exister.  

En janvier 2025, le média en ligne Griote, dirigé par la journaliste Clarence Yongo, a révélé un bilan macabre : dix femmes tuées en seulement 27 jours. Parmi elles, Aurélie Murielle Nya, 24 ans, retrouvée sans vie à Douala ; Carine, 27 ans, découverte en état de putréfaction à Bepanda ; ou encore Nafissatou Babarou, 19 ans, morte après un viol conjugal à Mora. Dix vies réduites à des statistiques, dix familles plongées dans un deuil sans fin. 

Les violences faites aux femmes, un fléau national

Les régions du Centre et du Littoral sont particulièrement touchées, mais aucune partie du pays n’est épargnée. Dans le Nord-Ouest, en proie à un conflit armé, les viols et assassinats de femmes sont devenus monnaie courante. En novembre 2023, Audrey Nguele, une adolescente de 17 ans, a été battue à mort par son concubin à Bertoua. En avril 2024, Sylvie Louisette Ngo Yebel, journaliste et experte en communication, a été retrouvée décapitée à Yaoundé. Son propre fils est le principal suspect.  

Ces drames, bien que médiatisés, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Selon l’Institut National de la Statistique, 39 % des femmes camerounaises subissent des violences physiques depuis l’âge de 15 ans, et 22 % endurent des violences psychologiques. Des chiffres qui, loin de diminuer, ne cessent de grimper, malgré les efforts du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (MINPROFF) et de ses partenaires.  

Des lois violées, une protection en berne  

Le Code pénal camerounais prévoit des sanctions pour les violences faites aux femmes, allant de la peine de mort à  l’emprisonnement et à des amendes. Pourtant, ces textes semblent souvent lettre morte. Les procédures judiciaires sont longues, coûteuses et décourageantes pour les victimes et leurs familles. Le cas de Lydienne Taba, tuée par balle en 2020 par un sous-préfet, illustre cette réalité : il a fallu quatre ans pour que son meurtrier soit condamné à 10 ans de prison. Quatre ans de lutte, de larmes et d’injustice.  

Le Cameroun, en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), s’est engagé à garantir le droit à la vie et à la sécurité de ses citoyens. Pourtant, les féminicides persistent, révélant un manquement criant de l’État dans son rôle de protecteur. Les forces de l’ordre, souvent sous-équipées et mal formées, peinent à prévenir ces crimes. Les campagnes de sensibilisation, bien que nécessaires, ne suffisent pas à enrayer ce fléau.  

La Journée internationale des femmes, un rappel douloureux

Alors que le monde célèbre les avancées des droits des femmes ce 8 mars 2025, le Cameroun est confronté à une réalité sombre. Cette journée, censée être un symbole d’espoir et de progrès, sonne comme un rappel douloureux de tout ce qui reste à accomplir. Les femmes camerounaises ne demandent pas des fleurs ou des discours, mais des actions concrètes : une application stricte des lois, une protection accrue, et une justice qui ne les abandonne pas.  

Le cri des défenseurs des droits humains 

Les féminicides ne sont pas une fatalité. Ils sont le fruit d’une société qui tolère encore trop souvent la violence envers les femmes. « Il est temps de briser ce silence complice, de renforcer les lois, de former les forces de l’ordre, et de sensibiliser les hommes et les garçons dès le plus jeune âge, suggère un défenseur des droits humains. Le Cameroun ne peut se permettre de perdre une seule femme de plus». Car chaque vie perdue est une tragédie, chaque silence un échec collectif.  

Etienne TASSE