Drame à l’Extrême-Nord : Des chercheurs brûlés vifs par des villageois en furie

Drame à l’Extrême-Nord : Des chercheurs brûlés vifs par des villageois en furie

Le 2 mars dernier, trois vies humaines ont été fauchées dans une barbarie indescriptible à Souledé-Roua, un village situé dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Loin d’être des membres de Boko Haram, ces victimes étaient des chercheurs en quête de solutions pour améliorer l’accès à l’eau potable. Leur sort tragique interroge profondément sur les manquements institutionnels et l’inefficacité des autorités à protéger les citoyens dans une zone instable.

Le 2 mars 2025, trois personnes ont été victimes d'une barbarie sans nom à Souledé-Roua, un petit village du département du Mayo-Tsanaga, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Des scènes d’une violence inouïe qui ont choqué la nation. Trois hommes, innocents, ont été battus à mort, puis brûlés vifs par une population en proie à la peur. La foule, galvanisée par des rumeurs sur la présence des terroristes et une méfiance grandissante, les a accusés à tort d’être des membres de la secte terroriste Boko Haram, responsable de violences dans la région.

Des chercheurs pris pour des terroristes

Pourtant, ces victimes étaient loin d'être des terroristes. Le Dr Bienvenue Bello, enseignant vacataire à l’Université de Garoua, et le Dr Frédéric Noumsi, chercheur au Ministère de la Recherche scientifique, avaient pour mission de prélever des échantillons du sol dans l'espoir de résoudre les problèmes d'eau potable auxquels le village était confronté. Ils étaient là dans un esprit de service, animés par la volonté de faire avancer la science pour améliorer le quotidien des populations locales.

Accompagnés d’un moto-taximan originaire de Maroua, ils n’étaient que des messagers de la connaissance et de la coopération. Malgré la présentation de leurs pièces officielles, les malheureuses victimes ont été saisies par une foule déchaînée, aveuglée par une peur irrationnelle. Ni la raison ni la compassion n’ont trouvé place dans ce déchaînement de violence. La communauté, fragilisée par des années de terreur, n’a pas fait la différence entre des chercheurs innocents et des extrémistes. Une tragédie marquée par l’absence totale de discernement.

Un manque de communication fatidique

Le terrible incident ne doit pas seulement être imputé à la peur irrationnelle des populations. Il révèle également une série de manquements institutionnels qui ont joué un rôle clé dans ce drame. La mission des chercheurs à Souledé-Roua, bien qu’essentielle, n’a pas été accompagnée d’une communication adéquate avec les communautés locales. Les autorités, qu’il s’agisse des services de sécurité ou des institutions qui ont mandaté les chercheurs, ont négligé d’informer les villageois de leur arrivée.

Ce manque d’information a ouvert la porte à des interprétations erronées et à des réactions violentes. Il est inadmissible que des acteurs responsables de la sécurité et du bien-être des populations aient laissé des citoyens vulnérables dans l’ignorance totale de ce qui se passait dans leur propre village. La mission de ces chercheurs était noble, mais le laisser-aller administratif et la déconnexion des autorités locales ont conduit à ce drame.

L’État, garant des droits humains, a failli

Ce drame met en lumière une défaillance grave de l’État camerounais dans ses responsabilités de garantir la sécurité et la dignité des citoyens. Le respect des droits humains, inscrit dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), a été bafoué. L’article 6 de ce Pacte stipule que « chaque individu a un droit inhérent à la vie », et cet article a été tragiquement violé en l’absence de protection effective des victimes. L'État a failli à son devoir de garantir la sécurité de ses citoyens en ne prenant pas les mesures nécessaires pour prévenir ce genre d'agression.

L’article 9 du PIDCP énonce également que « toute personne a droit à la sécurité de sa personne » et que « nul ne peut être arbitrairement détenu », ce qui implique que l’État a le devoir de protéger les individus contre les arrestations, détentions ou traitements inhumains. Dans ce contexte, l’inaction des autorités face à la montée de la violence locale est un manquement flagrant à cette obligation fondamentale.

Ainsi, ce massacre n'est pas seulement le résultat de l'ignorance d'une population terrorisée, mais aussi un échec brutal des institutions en charge de maintenir l'ordre et la sécurité. L'État camerounais, dans son rôle de garant des droits humains, a échoué à protéger les chercheurs qui, loin d’être des ennemis, venaient offrir des solutions pacifiques aux problèmes d’eau dans une région oubliée.

Le lynchage de Souledé-Roua est une tragédie qui aurait pu être évitée. Il est temps que l’État assume ses responsabilités et prenne des mesures concrètes pour protéger ses citoyens. La mémoire du Dr Bienvenue Bello et du Dr Frédéric Noumsi, ces héros méconnus, doit servir de catalyseur pour un changement profond des mesures sécuritaires dans la région . Leur mort ne doit pas être vaine.

Francis EBOA

Etienne TASSE