Robes noires, cœurs brisés : les avocats camerounais en grève

Robes noires, cœurs brisés : les avocats camerounais en grève

Depuis le 5 mars 2025, les avocats camerounais ont déposé leurs robes et déserté les tribunaux. Une grève de trois jours pour dénoncer les violences récurrentes des forces de l’ordre à leur encontre et réclamer le respect de leur dignité. Un cri d’alarme qui résonne dans un pays où les droits humains sont trop souvent piétinés.


Le Barreau du Cameroun est en ébullition. Dans un communiqué daté du 3 mars 2025, le Conseil de l’Ordre des Avocats a annoncé une grève de trois jours, du 5 au 7 mars, en réponse à des actes de violence et d’humiliation perpétrés contre des membres de la profession. Des vidéos virales montrant des policiers maltraitant un avocat ont mis le feu aux poudres. La veille, un autre avocat avait été séquestré par des forces de l’ordre pour l’obliger à se rétracter après avoir dénoncé des violations des droits de ses clients. Face à ces actes barbares, le Conseil de l'Ordre des avocats a tenu une session extraordinaire le 3 mars 2025, condamnant fermement ces violences qui portent gravement atteinte à l'exercice professionnel et à l'honorabilité de la profession d'avocat.

Violences policières à répétition

Ces incidents ne sont malheureusement pas isolés. En 2020, une grève similaire avait déjà paralysé les tribunaux pendant cinq jours. À l’époque, les avocats protestaient contre les brutalités policières et le harcèlement judiciaire. Leur colère avait été attisée par l’assaut d’un tribunal de Douala par la police, où des gaz lacrymogènes avaient été utilisés contre eux. Deux avocats avaient été arrêtés et condamnés à six mois de prison avec sursis.

Plus récemment, en novembre 2024, Me Richard Tamfu, un éminent avocat des droits humains, a été violemment agressé par des gendarmes à Douala alors qu'il défendait un client contre une arrestation illégale. Cet incident, filmé par des témoins, a déclenché une vague d'indignation à travers le pays.  

Aujourd’hui, le scénario se répète. Les avocats, souvent perçus comme les gardiens de la justice, se retrouvent eux-mêmes privés de protection. Leur grève est un signal fort : sans respect pour ceux qui défendent les droits, la justice elle-même est en péril.

Les droits humains violés
Les violences subies par les avocats camerounais ne sont pas seulement une atteinte à leur profession, mais aussi une violation flagrante des droits humains. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le Cameroun, garantit plusieurs droits bafoués dans ces incidents.
Les actes de violence et d’humiliation infligés aux avocats, notamment la séquestration et les brutalités physiques, constituent des traitements inhumains et dégradants. Le PIDCP stipule que « nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Ensuite, la séquestration d’un avocat pour le forcer à se rétracter est une violation directe de son droit fondamental puisque, selon l’article 9 du PIDCP, « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu». En outre, en empêchant les avocats de remplir leur rôle, les autorités compromettent le droit à un procès équitable : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial».

Défaillance de l’État
En tant que garant du respect des droits humains, l’État camerounais a failli à sa mission. Les violences répétées contre les avocats, souvent commises en toute impunité, montrent un système où la force prime sur le droit. Les forces de l’ordre, censées protéger les citoyens, se transforment en instruments de répression.

Le contexte général du Cameroun, marqué par un climat politique tendu, aggrave la situation. Les avocats, en défendant les droits des citoyens, deviennent des cibles faciles. Leur grève est un miroir tendu à une société où la justice est souvent malmenée.

 Interrogé sur ce qu'il convient de faire pour restaurer la confiance dans le système judiciaire et garantir le respect des droits humains au Cameroun, un défenseur des droits humains préconise : « l'État doit engager des enquêtes transparentes et impartiales sur les violences policières, tout en traduisant les responsables en justice. Il est également crucial de renforcer la formation des forces de l'ordre sur les droits humains et les procédures légales, afin de prévenir de tels abus. Enfin, une protection effective des avocats et des défenseurs des droits humains dans l'exercice de leurs fonctions doit être instaurée pour préserver l'intégrité de la justice». Sans une action décisive de ce genre, la robe noire, symbole de justice, restera un habit de deuil.

Etienne TASSE