Deux ans après l’assassinat brutal du journaliste Martinez Zogo, le procès des 17 accusés piétine dans les méandres de la procédure judiciaire. Alors que la dépouille de la victime repose toujours à la morgue, les espoirs de justice s’amenuisent, révélant les failles d’un système judiciaire englué sous des influences politiques.
Le 17 janvier 2023, Martinez Zogo, présentateur vedette de la radio Amplitude FM, disparaissait après avoir été enlevé devant un poste de gendarmerie à Yaoundé. Cinq jours plus tard, son corps nu et mutilé était retrouvé à la périphérie de la ville. Connu pour ses dénonciations virulentes de la corruption, Martinez Zogo avait marqué les esprits par son courage, évitant toutefois de s’attaquer directement au Président Paul Biya.
Deux ans après ce crime qui a secoué le Cameroun, le procès des 17 accusés, dont d’anciens hauts responsables de la sécurité et un homme d’affaires influent, semble tourner en rond. Le tribunal militaire de Yaoundé, saisi de l’affaire depuis mars 2024, a reporté une nouvelle fois l’audience au 17 mars 2025, attendant que la Cour d’appel du Centre se prononce sur un jugement avant dire droit. Ce jugement, rendu en novembre 2024, avait rejeté les exceptions soulevées par les avocats de la défense, qui exigent notamment la mise à disposition du dossier de procédure.
Flore Zogo, sœur aînée de la victime, exprime son désarroi au micro de RFI : « On ne peut rien faire en fait. Si la procédure judiciaire traîne, je pense que c'est quelque chose de prémédité. C'est vraiment politique. » Les avocats des parties civiles et de la défense dénoncent une justice à deux vitesses, où les questions de procédure semblent servir à étouffer la vérité plutôt qu’à la révéler.
Les droits humains sacrifiés sur l’autel des lenteurs judiciaires
Le procès de Martinez Zogo met en lumière des violations flagrantes des droits humains, garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). L’article 2 du PIDCP stipule que tout individu a droit à un recours effectif. Or, deux ans après le crime, la famille de Martinez Zogo attend toujours que justice soit rendue. Les retards répétés et les obstacles procéduraux constituent une entrave à ce droit fondamental.
De plus, l’article 14 du PIDCP garantit le droit à un procès équitable. Pourtant, les avocats de la défense et de la partie civile dénoncent des vices de procédure, notamment le refus d’accès au dossier pour les avocats des prévenus. Maître Charles Tchoungang, avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, déplore la multiplication des obstacles pour éviter d'aller au fond. Cette opacité entache le principe d’équité et de transparence, essentiel à tout procès.
Enfin, l’article 14 prévoit également le droit à un jugement dans un délai raisonnable. Or, 11 mois après l’ouverture du procès, aucun prévenu n’a encore été auditionné. Maître Jacques Mbuny, avocat de Justin Danwé, ancien directeur des opérations de la DGRE, souligne que deux ans de prison sans être jugé, c'est qu’on a dépassé le «délai raisonnable». Cette lenteur judiciaire, souvent attribuée à des interférences politiques, viole les droits des accusés comme ceux de la famille de la victime.
L’État camerounais, un garant défaillant
En tant que garant du respect et de la protection des droits humains, l’État camerounais a failli à sa mission. Le procès de Martinez Zogo, emblématique des dysfonctionnements judiciaires, révèle une justice sous influence, où les considérations politiques prennent le pas sur la recherche de la vérité. Maître Calvin Job, représentant des proches de Martinez Zogo, résume : « La lenteur du procès est la conséquence du profond malaise de la justice militaire autour d'une affaire aux relents politiques. »
Le contexte général du Cameroun, marqué par une défiance croissante envers les institutions et une corruption endémique, amplifie ces défaillances. Les observateurs judiciaires craignent que la lumière ne soit jamais faite sur ce crime, laissant planer l’ombre de l’impunité sur un pays déjà fragilisé par des crises multiples.
Une justice en quête de sursaut
Le procès de Martinez Zogo est bien plus qu’une affaire judiciaire : c’est un test pour la crédibilité de la justice camerounaise. Alors que les proches de la victime réclament vérité et dignité, les retards et les manœuvres procédurales risquent de transformer ce drame en symbole d’une justice défaillante. Comme l’exprime Maître Seri Simplice Zokou, « seul un sursaut d'orgueil et d'indépendance des magistrats » pourra redonner espoir en une justice équitable et impartiale. En attendant, le corps de Martinez Zogo repose toujours à la morgue, attendant que la lumière soit enfin faite sur son assassinat.
DEJIO M.