Parc de Ma Mbed Mbed à Guidiguis :  un projet qui enflamme l’Extrême-Nord

Parc de Ma Mbed Mbed à Guidiguis : un projet qui enflamme l’Extrême-Nord

Dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, la création du parc national de Ma Mbed Mbed a déclenché une tempête de colère. Les populations locales, principalement de la communauté Toupouri, se mobilisent contre ce projet qu’elles perçoivent comme une menace pour leurs terres et leur survie. Le 7 février 2025, le gouverneur Midjiyawa Bakary a été pris en otage par des manifestants exigeant l’annulation du décret créant le parc. Cette crise met en lumière des violations flagrantes des droits humains et soulève des questions cruciales sur la responsabilité de l’État.


Le parc national de Ma Mbed Mbed, d’une superficie de 12 708 hectares, est censé servir de corridor migratoire pour les éléphants entre le Cameroun et le Tchad. Cependant, depuis son annonce en 2020, il est perçu comme une épine dans le pied des populations locales. Les habitants de Guidiguis et Taïbong craignent de perdre leurs terres arables et dénoncent le manque de consultation dans la prise de décision. La colère a atteint son paroxysme début février 2025, lorsque les éléphants ont attaqué les cultures à Kalfou, exacerbant les tensions entre l’homme et la faune.

Le 7 février, le gouverneur Midjiyawa Bakary, en tournée à Kourbi, a été pris en otage par des manifestants armés de gourdins. Les forces de l’ordre ont dû intervenir pour le libérer, mais la promesse d’annuler le décret avant la fin d’année de 2025 n’a pas suffi à calmer les esprits. Les populations restent mobilisées, exigeant une annulation immédiate du projet.

Droits humains bafoués
Cette crise met en lumière des violations graves des droits humains, garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Les populations locales affirment ne pas avoir été consultées dans la décision de création du parc. Or l’article 25 du PIDCP parlant du droit à la participation stipule que tout citoyen a le droit de participer à la direction des affaires publiques. En ignorant les voix des communautés, l’État a violé ce droit fondamental. Ensuite, les populations ont droit à un niveau de vie suffisant (Article 11 du PIDESC) . La création du parc menace les moyens de subsistance des populations, notamment leur accès aux terres arables. L’article 11 du PIDESC garantit le droit à une alimentation adéquate et à un logement décent. En privant les habitants de leurs terres, l’État compromet leur survie.

Par ailleurs,  l’intervention des forces de l’ordre, marquée par l’usage de gaz lacrymogènes, a mis en péril la sécurité des manifestants, violent ainsi leur droit à la liberté et à la sécurité (Article 9 du PIDCP). Cet article protège les individus contre les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que contre les violences étatiques. Enfin,  le droit à la propriété (Article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) a été bafoué puisque les populations locales risquent de perdre leurs terres ancestrales au profit du parc. 

La responsabilité de l’État
L’État camerounais se trouve à un carrefour critique. D’un côté, il doit protéger la biodiversité et répondre aux exigences internationales en matière de conservation. De l’autre, il doit garantir les droits des communautés locales et éviter les conflits sociaux. La gestion de cette crise révèle des lacunes flagrantes. Le manque de consultation préalable des populations, l’usage excessif de la force pour réprimer les manifestations, et les promesses non tenues ont exacerbé la méfiance envers les autorités. Le gouverneur Midjiyawa Bakary, accusé de minimiser les tensions, a perdu la confiance des habitants. La visite du ministre Paul Atanga Nji dans la région, le 12 février 2025, vise à apaiser les tensions. Cependant, les populations exigent désormais l’intervention directe du Premier ministre, voire du président de la République.

Un contexte national explosif
Cette crise s’inscrit dans un contexte national marqué par des tensions récurrentes autour des projets de développement et de conservation. Au Cameroun, la gestion des ressources naturelles est souvent perçue comme un outil d’exclusion plutôt que d’inclusion. Les communautés locales, déjà marginalisées, se sentent sacrifiées sur l’autel des intérêts économiques et environnementaux. Le parc de Ma Mbed Mbed n’est pas un cas isolé. Il reflète une tendance plus large où les projets étatiques, bien qu’ambitieux, négligent les réalités sociales et culturelles des populations concernées.

Un équilibre à trouver
La crise de Kourbi est un rappel brutal des défis auxquels le Cameroun fait face dans sa quête de développement durable. Pour éviter que cette situation ne dégénère en conflit ouvert, l’État doit revoir sa stratégie. Il doit privilégier le dialogue, garantir le respect des droits humains, et trouver un équilibre entre conservation et développement. Les populations locales ne sont pas des obstacles au progrès, mais des partenaires essentiels. Leur voix doit être entendue, leurs droits respectés, et leurs terres protégées. Sinon, le parc de Ma Mbed Mbed risque de devenir un symbole non pas de conservation, mais de division et d’injustice.

Etienne TASSE