Affrontements mortels à la SOSUCAM : Des revendications légitimes réprimées par la force

Affrontements mortels à la SOSUCAM : Des revendications légitimes réprimées par la force

La localité de Nkoteng, dans la région du Centre du Cameroun, a été le théâtre d’affrontements meurtriers le 4 février 2025. Ce qui devait être une grève pacifique des employés de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) s’est transformé en émeute sanglante, révélant les graves manquements de l’État dans la gestion des conflits sociaux et la protection des droits fondamentaux des travailleurs.

Les employés de la Sosucam protestaient contre des mois de salaires impayés et des conditions de travail précaires. Depuis plusieurs mois, ils dénonçaient la gestion jugée défaillante du nouveau directeur général, Jean-Louis Liscio. Pourtant, au lieu d’un dialogue social apaisé, ils ont été confrontés à une répression brutale.

La situation s’est envenimée lorsqu’un groupe de jeunes désœuvrés, sans lien direct avec les grévistes, s’est joint au mouvement, entraînant des actes de vandalisme et l’incendie de 150 hectares de plantations de cannes à sucre. Plutôt que d’anticiper et d’encadrer ce mouvement social, l’État a laissé la situation dégénérer avant d’opter pour une réponse purement répressive.

Une intervention policière violente en violation des droits humains

L’intervention des forces de l’ordre s’est traduite par un usage disproportionné de la force, marquant une violation manifeste des droits humains. Des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des tirs à balles réelles ont été utilisés pour disperser les manifestants. Le bilan est tragique : un ouvrier saisonnier, Djora, a été abattu par balle.

Des témoins affirment que Djora a été touché en pleine poitrine par une rafale de kalachnikov, son corps gisant au sol sous les yeux horrifiés de ses collègues et de sa famille. Plusieurs autres manifestants ont été blessés, certains grièvement.

 L’État, garant du respect des droits à la vie et à la sécurité, a failli à sa mission en autorisant une répression qui viole les conventions  ratifiées par l’Etat du  Cameroun. Notamment l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit à la vie , et  l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui reconnaît le droit au travail décent.

La responsabilité de l’État et de la direction de la Sosucam

La crise met en évidence la responsabilité de l’État camerounais et de la direction de la Sosucam. L’entreprise, détenue à 26 % par l’État, est accusée d’avoir ignoré les revendications de ses employés. L’absence de mesures pour garantir le paiement des salaires et l’amélioration des conditions de travail a directement contribué à l’explosion de la colère sociale.

De son côté, l’État a failli dans son rôle de médiateur et de garant des libertés publiques. La brutalité de la répression illustre une approche systématique des autorités consistant à privilégier la force au détriment du dialogue. Amnesty International et plusieurs organisations de défense des droits humains dénoncent une réponse « inacceptable et contraire aux engagements internationaux du Cameroun ».

Quelles perspectives pour éviter une nouvelle tragédie ?

Le 7 février 2025, une réunion de crise s’est tenue sous l’égide du préfet de la Haute-Sanaga, Albert Nanga Dang, en présence des autorités administratives, des élus locaux, des responsables syndicaux et de la direction de la Sosucam. L’objectif annoncé est d’apaiser la situation et de permettre une reprise des activités, mais les employés réclament des actions concrètes : le paiement immédiat des arriérés de salaires, l’amélioration des conditions de travail et une gestion plus transparente.

Si aucune mesure réelle n’est prise, la crise pourrait s’aggraver et fragiliser encore davantage l’industrie sucrière camerounaise. Cette tragédie doit servir d’avertissement aux autorités : la répression ne peut se substituer à une politique sociale juste. L’État doit assumer ses responsabilités, garantir les droits fondamentaux des travailleurs et instaurer un dialogue social sincère pour éviter de nouvelles violations des droits humains.

Etienne TASSE