Suite aux incidents ayant causé la mort de quatre
hommes en tenue et de deux civils à Matazem (arrondissement de Badabjou), une centaine de personnes ont subi des sévices corporels. Cette pratique visant à extorquer des aveux chez des suspects est dénoncée par Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés.
Faire asseoir des gens au sol, leur demander de se coucher, les cogner, les manœuvrer en les interrogeant sur la façon dont les insurgés ont pénétré dans le village avant de l’attaquer, lancer des paroles du genre :” vous ne dites rien, on vous massacre, nous sommes militaires, on ne connaît pas les droits de l’homme ” : autant de faits qui hantent la mémoire de nombreux habitants de l’arrondissement de Babadjou. .
«Nous sommes des êtres humains. Comment peut-on nous priver de notre liberté. Nous sommes victimes d’un acharnement gratuit. Nous avons prévenu le commandant de brigade qu’il y avait des personnes inconnues qui séjournaient dans le village. Rien n’a été fait. Maintenant qu’il y a attaque, nous sommes privés de notre liberté et menacés d’avoir coopéré avec les ennemis de la patrie. Nous ne sommes pas impliqués dans cette attaque ayant causé la mort de quatre hommes en tenue présents à un poste de contrôle routier et de deux civils. Un camion transportant du carburant a été complètement détruit par les assaillants.» L’auteur de cette déclaration revient de loin.
Chef de quartier à Matazem, Jean Tchinda (nom d’emprunt), fait partie des personnes interpellées, le 09 janvier dernier, et maintenues en détention pendant des heures. En compagnie d’une centaine de personnes, dont une majorité de déplacés victimes de la crise dans la région du Nord-Ouest, il a passé une journée dans un camp de regroupement improvisé. Femmes, enfants et vieillards de la localité, interpellés sans mandat ni titre, ont été massés dans ce camp. Ils étaient soupçonnés d’avoir été complices des présumés assaillants. En soirée, après 18 heures, les femmes enceintes, celles qui allaitent et les vieillards ont été libérés. Les autres, environ une centaine, ont été transportés dans des camions pour être interrogés à la compagnie de gendarmerie de Mbouda.
Tortures physiques et morales
Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés, dénonce ce qu’il qualifie de « torture psychologique pour extorquer des aveux. » « Toutes ces personnes ont subi des actes de torture tant physiques que moraux et ont été soumises à des traitements inhumains et dégradants dans la mesure où elles ont été contraintes de s’asseoir à même le sol après avoir subi des sévices corporels et des interrogatoires musclés concernant leur complicité présumée avec les assaillants», explique-t-il.
Le directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés s’indigne face à ce qu’il qualifie « d’atteinte grave aux droits humains ». La Convention des Nations Unies contre la torture (UNCAT), adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10décembre 1984, le Pacte international relatif aux droits civilset politiques (PIDCP), sont évoqués contre les auteurs de ces actes. «Aux fins de la présente Convention (UNCAT), le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins d’obtenir des renseignements ou des aveux », rappelle Me Julio Koagne, avocat au barreau du Cameroun, qui a ratifié la convention des Nations Unies contre la torture adoptée le 10 décembre 1984.
Les faits de torture sont réprimés par le code pénal camerounais. C’est pourquoi Charlie Tchikanda exige qu’une enquête soit diligentée pour faire la lumière non seulement sur le massacre de Matazem mais également sur les actes de torture infligés aux personnes arrêtées et gardées à vue à la compagnie de gendarmerie de Mbouda. Selon lui, les auteurs doivent être recherchés, poursuivis et traduits devant les tribunaux où ils répondront de leurs actes.
Des armes létales pour régler les différends politiques ?
Présidant quelques jours après cet incident une réunion à Bafoussam, Atanga Nji, ministre de l’Administration, a indiqué que le gouvernement multiplie des actions pour encadrer les déplacés internes de la crise anglophone et a demandé aux chefs traditionnels de jouer un rôle «républicain» pour le retour à la paix et à la cohésion sociale. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas droit de critiquer le gouvernement de Yaoundé, y compris en matière de violation des droits humains des déplacés internes de la crise anglophone. Au demeurant, la Ligue des droits et des libertés note, pour le déplorer, l’utilisation récurrente des armes létales pour régler les différends politiques. Aussi elle demande aux pouvoirs publics de prendre toutes les mesures nécessaires pour privilégier les voies de dialogue dans le règlement de ces conflits.
Guy Modeste DZUDIE(Jade)