Après l’incendie de leurs campements dans le département du Noun, de centaines de familles Mbororo vivent désormais la peur au ventre et disent craindre le pire si rien n’est fait par le gouvernement camerounais. Leur cohabitation avec la communauté Bamoun devient explosive, à cause de nombreux crimes et de l’impunité.
Selon Ali Abdel Salim, secrétaire général de Mboscouda (Social and Cultural Development Association) dans l’Arrondissement de Foumbot, l’année dernière, en mai 2022, à Makéchoum dans cette localité, département du Noun dans la région de l’Ouest, un campement Mbororo a été incendié un soir par les agriculteurs Bamoun. Pour lui, ce problème résulte du conflit agropastoral. « Les agriculteurs Bamoun accusaient ces éleveurs Mbororo de piétiner leurs cultures. C’est la raison pour laquelle, ils sont allés incendiés le campement Mbororo, constitué de 12 cases », a-t-il déclaré. Alertés par les populations, le chef du village, le commandant de brigade de la gendarmerie, et le sous-préfet étaient descendus sur les lieux. Mais, d’après Ali Abdel Salim, après cette descente qui a permis d’apaiser les tensions entre les deux communautés, aucune mesure n’a, par la suite, été prise par les autorités pour punir les coupables de ce crime.
De son côté, saisie le lendemain, l’association Mbororo Social and Cultural Development Association (Mboscouda), a engagé une procédure judiciaire contre ces criminels, en déposant une plainte au niveau de la légion de gendarmerie de l’Ouest. Mais selon le secrétaire général de Mboscouda Foumbot, jusqu’aujourd’hui la plainte est restée sans suite à cause du découragement des victimes qui ont peur de représailles. « Quand nous avons engagé cette procédure judiciaire au niveau de la gendarmerie de l’Ouest à Bafoussam, nous avons été bien enregistrés. Mais lorsque le colonel de la légion de gendarmerie a convoqué les victimes, elles ont refusé d’aller se faire entendre disant que les agriculteurs Bamoun les menacent. En fait, ils ont peur des représailles. C’est pourquoi la procédure judiciaire est restée pendante jusqu’à nos jours », explique-t-il.
Ce cas n’est pas isolé dans le département du Noun. Selon Dr Yacouba Yaya, président de la commission projet environnement au niveau de la commission exécutive régionale de Mboscouda Ouest, le 20 mai 2022 à Kounden dans l’arrondissement de Kouoptamo, les assaillants venus de Koubouo dans l’arrondissement de Koutaba, avaient attaqué la communauté Mbororo vivant dans la station d’élevage à Kounden, et avaient bruûlé plusieurs habitations. Les auteurs qui avaient été incarcérés puis relaxés après quelques temps, restent aujourd’hui impunis.
Violation des droits humains
Selon Me Fabien Che, Avocat au barreau du Cameroun, ces actes sont des faits criminels punis par la loi. « C’est une infraction bien précise, c’est-à-dire le pillage en bande, l’incendie collectif, qui sont des faits criminels. Les victimes doivent déposer une plainte, et je crois qu’ils sont encore dans les délais puisque la prescription en matière criminelle est de 10 ans, contre les auteurs de ces actes criminels s’ils ont été clairement identifiés », a-t-il souligné. A ceci s’ajoute la violation de la Constitution camerounaise du 18 Janvier 1996 et certaines conventions ratifiées par le Cameroun, considérant les Mbororo comme des « minorités vulnérables » ou « populations autochtones », qui bénéficient d’une protection juridique renforcée. Dans son préambule, la Constitution stipule que : « l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi ».
Le silence des autorités
Face à ces crimes contre les populations Mbororo dans le département du Noun, les autorités, au lieu d’instruire des enquêtes pour arrêter et juger les coupables conformément à la loi, ont tendance à rester silencieuses. Or cette impunité renforce le sentiment que les responsables de ces crimes peuvent continuer leurs actes et ne faire l’objet d’aucunes poursuites judiciaires. Aussi, cette situation d’impunité peut conduire à une augmentation des violations des droits humains ; créer un sentiment d’injustice parmi les victimes et leur entourage ; décourager les victimes de signaler les violations, par peur de représailles ou de ne pas être prises au sérieux ; avoir un effet dissuasif sur les témoins potentiels et les défenseurs des droits humains, qui peuvent craindre de s’exprimer ou de dénoncer les abus. Rencontré par le journaliste de JADE (Journalistes en Afrique pour le Développement), le sous-préfet de l’arrondissement de Foumbot n’a pas souhaité se prononcer sur la réponse des autorités face à ces crimes à répétition contre les populations Mbororo dans sa circonscription.
Appel à la justice
Il est grand temps que les autorités agissent pour mettre fin à ces crimes contre les populations Mbororo dans le département du Noun et à l’impunité. Les responsables doivent être arrêtés et jugés pour permettre à cette communauté de ne plus vivre dans la peur et mener ses activités sans crainte. Mais pour le Dr Mathieu Foka, Directeur national du Cipcre, dans ce contexte caractérisé par le confit agropastoral, le gouvernement doit prendre le taureau par les cornes pour éviter des crimes pareils dans l’avenir, en mettant sur pied un zonage qui permettrait de savoir quelle est la zone adaptée pour l’agriculture et quelle est la zone réservée pour le pâturage.
« Ce zonage avait été fait dans beaucoup d’arrondissements. Sauf qu’il s’agit d’une démarche qui doit être actualisée. Avec la démographie qui est très grandissante, la pression sur les ressources va aussi grandissante. Quand le zonage n’est plus d’actualité c’est source de conflit. Même déjà les couloirs de passage doivent être définis. Parce que les Mbororo qui sont nomades doivent passer avec leurs bêtes, si on n’a pas tracé une route, si on n’a pas délimité leur passage, ça va créer un problème de destruction de cultures. Et ce sont ces éléments qui sont à la source des conflits », a-t-il précisé
Nacer Njoya (Jade)