Voici quatre ans, le gouvernement annonçait la mort du journaliste Samuel Wazizi le 17 août 2019. Aujourd’hui, sa famille, des journalistes et des associations de défense des droits humains s’étonnent que les circonstances de sa mort n’ont jamais été élucidées. Les responsables de cet assassinat ne sont toujours pas inquiétés.
Samuel Wazizi, présentateur d’une télévision locale à Buea, dans la région du Sud-ouest, avait été arrêté le 2 août 2019 et transféré à Yaoundé, accusé de complicité avec les sécessionnistes anglophones. Plusieurs mois après sa disparition, c’est le 5 juin 2020 que le ministère de la défense à travers son porte-parole, le colonel Serge Cyrille Atonfack, déclare que Samuel Wazizi était décédé d’une infection généralisée le 17 août 2019 à l’hôpital militaire de Yaoundé. Les circonstances de cette disparition tragique ont suscité beaucoup d’interrogations au sein de sa famille, des journalistes et associations de défense des droits humains.
Ceux-ci estimant que le journaliste a succombé aux actes de torture et violences physiques dont il aurait fait l’objet lors de sa détention. Ceci en violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée en 1986 par le Cameroun, qui engage les Etats à prendre les mesures nécessaires pour prévenir et éradiquer la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Il faut ajouter à ceci, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans son article 9, qui dispose que : « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ».
Le gouvernement camerounais ne fait preuve d’aucun engagement
Malgré l’annonce du Chef de l’Etat et les demandes d’enquête de l’Unesco, Reporters sans frontières et plusieurs Ong camerounaises et internationales, le gouvernement n’a jamais, jusqu’à aujourd’hui, rien mis en œuvre pour faire éclater la vérité dans cette affaire et montrer son engagement dans le respect des droits de l’homme et contre l’impunité. Par ailleurs, son corps n’a toujours pas été remis à sa famille. Pour Me Tamfuh, avocat au barreau Cameroun et proche du dossier, « c’est regrettable et lamentable que 4 ans après le décès du journaliste Samuel Wazizi que l’Etat du Cameroun ne puisse pas nous donner la position exacte du rapport d’enquête qui avait été annoncée en grande pompe. L’Etat du Cameroun qui se dit un Etat de droit, est censé protéger les citoyens et leurs biens », s’est-t-il indigné.
Pour lui, le Cameroun a ratifié des instruments internationaux qui garantissent aux citoyens de pouvoir avoir une justice équitable dans leur pays, notamment la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006). Cette convention interdit les disparitions forcées et engage les Etats à enquêter et à poursuivre les responsables. « Si cela n’est pas respecté, il y a violation. Donc en tant que défenseur des droits de l’homme, je suis très embarrassé de constater que mon pays est dans une inertie et ne veut pas bouger dans le sens du respect des droits de l’homme. C’est regrettable qu’on ne puisse pas ouvrir une enquête. Et même si l’enquête avait été ouverte, qu’on ne puisse pas avoir un suivi de cette enquête pour nous présenter les coupables qui seront jugés devant les tribunaux, pour que les responsabilités soient établies », est-il étonné.
Du côté de la société civile, c’est le même sentiment de regret et d’indignation qui anime les acteurs. Pour Phillip Nanga, coordonnateur de « Un monde avenir », il est regrettable que jusqu’à nos jours l’impunité demeure, et que l’Etat du Cameroun ne puisse pas instruire une enquête pour aller jusqu’au bout de ses engagements et mettre tout en œuvre pour lever les voiles qui planent sur l’assassinat de ce journaliste. « Nous regrettons ce silence parce que bien que les médias continuent de parler, le gouvernement ne se sent pas dans l’obligation de faire une sortie pour clarifier quoi que ce soit.
Et ça c’est une double violation parce que, non seulement ce journaliste est mort détenu par les unités des forces de défense et donc le gouvernement a été directement engagé. Mais même après sa mort on n’est pas capable de communiquer sur la suite qui a été réservée à son corps. Je pense qu’un jour la vérité sera connue et que justice sera rendue à ce journaliste. C’est pour cela que « Un monde avenir » continue d’inscrire ce sujet-là dans nos rapports pour interpeller le gouvernement à rendre justice à ce journaliste », a-t-il indiqué.
Poursuivre des efforts pour lutter contre l’impunité
Le gouvernement doit poursuivre des efforts afin de prouver que l’impunité, qui conduit à une augmentation des violations des droits des journalistes et crée un sentiment d’injustice, n’est pas inéluctable au Cameroun. Selon Léopold Nguelo, journaliste, coordonnateur du Club Média Ouest (CMO) et membre de la plateforme « Action citoyenne pour la liberté de la presse », il y a « une lueur d’espoir à la suite des procédures qui sont engagées après l’assassinat de Martinez Zogo, qui montrent que demain les journalistes ne seront plus abandonnés après les actes dont ils sont victimes », a-t-il relevé.
Mais pour que les journalistes soient définitivement à l’abri des violations de leurs droits, le journaliste estime que certaines dispositions du code pénal du Cameroun, qui ne protègent pas les professionnels des médias, doivent être revues afin de les exclure du champ de leur application. « Si les dispositions du code pénal qui, aujourd’hui, donne la possibilité d’interpeller et de traduire un journaliste devant le tribunal militaire ne sont revues, si la loi sur le terrorisme ne vient pas donner la possibilité aux journalistes de travailler librement, parce que cette disposition donne la peur dans le ventre à tout le monde, je crois que les journalistes seront toujours privés de liberté, menacés ou assassinés », a déclaré Léopold Nguelo. « Nous travaillons au niveau du CMO dans un plaidoyer organisé à l’effet de revoir cette disposition et de permettre à ce qu’un journaliste ne soit plus privé de liberté, menacé ou assassiné », a-t-il ajouté.
Nacer Njoya (Jade)