Des enfants sont envoyés dans la rue par leurs parents ou des maitres coraniques pour mendier.
Les rues de la ville de Ngaoundéré vivent une ambiance assez particulière ces derniers temps. Des enfants âgés de 5 à 10 ans harcèlent les passants. Ces enfants se baladent en groupe de trois, quatre ou cinq avec chacun une petite assiette en main qu’ils vous tendent afin que vous leur déposiez une pièce d’argent. Ceci n’est rien d’autre que de la mendicité.
Ces enfants sont issus de la communauté musulmane. « Je pense qu’il peut y avoir deux cas. Cela pourrait par exemple être des enfants issus des écoles coraniques que certains maitres coranique envoient dans la rue pour mendier et revenir leur donner cet argent. Donc, en réalité l’argent que vous donnez à ces enfants ne leur appartient pas. Pour avoir plus de moisson, les maîtres coraniques envoient plus souvent des filles mendier, car ils savent que les gens seront très sensibles en voyant les filles. Mais, il me semble que ces enfants que nous voyons ces derniers jours à Ngaoundéré viennent d’ailleurs, notamment des pays voisins », relate un fidèle musulman à Ngaoundéré.
A la délégation régionale des affaires sociales de l’Adamaoua, un responsable accepte d’échanger avec nous sur le sujet, mais sous anonymat. « Ce phénomène touche une certaine sensibilité surtout qu’il a un côté religieux. Le phénomène est réel et nous avons fait également ce même constat. Le délégué régional des affaires sociales nous a déjà envoyé sur le terrain sensibiliser cette communauté. Nous leur avons donné deux semaines, juste le temps que l’école recommence. L’enfant que nous allons trouver en train de mendier sera arrêté et nous allons aussi mettre la main sur ses parents pour qu’ils viennent s’expliquer. Nous souhaitons que les autorités administratives nous accompagnent dans ce travail », fait savoir notre vis-à-vis.
La mendicité réprimée
Sur le plan local, le code pénal camerounais réprime la mendicité dans son article 246-d en ces termes : « Est puni d’un emprisonnement de six mois à six ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000Fcfa le mendiant, même valide ou démuni de ressources, qui sollicite la charité en groupe, à moins que ce ne soient le mari et la femme, le père ou la mère et leurs enfants, aveugle et son conducteur ». Si certains actes perdurent, c’est tout simplement parce que l’Etat ne sanctionne pas véritablement en fonction des textes qu’il a lui-même ratifié.
Les enfants exploités
A y regarder de près, il ne s’agit pas seulement de mendicité, mais aussi d’exploitation des enfants, car l’argent collecté par ces mineurs est reversé aux adultes. Pourtant, sur le plan international le Cameroun a ratifié une pléthore de conventions visant à protéger les enfants. L’article 18-1 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples stipule que, « la famille est l’élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l’Etat qui doit veiller à sa santé physique et morale ». Aussi, l’alinéa 3 du même article nous renseigne que, « l’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales ». De son côté, le pacte international sur le droit civil et politique dans son article 24 alinéa 1 dit : « Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur ».
En réalité, la protection de l’enfant commence chez ses parents puis c’est à l’Etat d’assurer l’essentiel d’un certain nombre de choses. L’article 19-1 de la convention relative aux droits de l’enfant précises à cet effet que, « Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un des deux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié », peut-on lire.
Par Francis Eboa (Jade)
Interview
Housseini Hamidou, Imam de la mosquée centrale de Ngaoundéré
« La mendicité en Islam n’est pas tolérée»
Par F.E
Nous avons constaté qu’il y a une certaine catégorie d’enfants qui font de la mendicité dans les rues. Est-ce que vous avez également fait ce constat ?
Tout à fait, ce phénomène est observable dans la ville. Ces enfants sont dans les rues, souvent même aux portes des mosquées où, une fois à la sortie, ils se mettent en place pour mendier. En route surtout au niveau du centre commercial de Ngaoundéré, dès que vous garez votre véhicule, vous êtes assailli par des groupes d’enfants qui viennent vous demander une aumône. Il y en a qui vous diront que c’est pour leur maman qu’ils demandent cela et vous pointent même leur maman qui est assise un peu plus loin observant ses enfants. Ce phénomène est en recrudescence dans la ville de Ngaoundéré.
A première vue, je pense que ces enfants viennent de loin. Peut-être du Nigeria . C’est possible parce qu’ils ne s’expriment pas en fulfuldé, mais uniquement en haoussa. Et ils ne ressemblent pas aux enfants locaux. Ces enfants viennent avec leurs parents et nous pensons que c’est saisonnier. D’habitude ces parents restent en retrait et envoient leurs enfants mendier. Ces enfants vont partout même dans les domiciles privés. Ils se considèrent comme des voyageurs qui n’ont pas de repère en ville et qu’ils ont besoin d’aide.
D’aucuns pensent qu’il s’agit des enfants qui sortent des écoles coraniques pour mendier…
Ce que vous dites se pratiquent dans d’autres régions du pays, mais pour ces enfants dont vous parlez, je ne penche pas vers cet avis. Je pense que ce sont des enfants qui viennent d’ailleurs uniquement pour mendier et avoir quelque chose puis repartir chez eux. Les écoles coraniques au niveau local sont organisées de nos jours de manière à répondre aux modes de fonctionnement formels avec un maitre coranique qui est là, les enfants sont inscrits et les parents versent quelque chose à la fin du mois et suivent le cursus de leurs enfants de manière méthodique. Les enfants locaux sont mieux encadrés par leurs parents. Ce n’est pas courant de voir un maitre coranique envoyer les enfants mendier à son profit. C’est vrai que c’est possible que cela se passe dans d’autres régions du Cameroun, mais à Ngaoundéré, ce n’est pas quelque chose d’habituel.
Que dit l’Islam en ce qui concerne la mendicité de manière générale ?
La mendicité en Islam n’est pas tolérée. Les textes ordonnent aux parents de prendre en charge leurs enfants, leur progéniture. On ne doit pas abandonner nos enfants, on ne doit pas fuir nos responsabilités de manière à forcer les enfants à aller mendier pour trouver de quoi manger. L’Islam instruit à ce que l’homme travaille et ne doit pas céder à l’oisiveté, à l’inaction. Il faut chercher un métier, chercher un travail pour se nourrir et nourrir sa famille. L’Islam condamne celui qui a la capacité de travailler qui refuse de le faire en choisissant la mendicité. Le Prophète a dit que celui qui mendie juste pour avoir le surplus c’est-à-dire qu’il a déjà les moyens de vivre (il a un bon état de santé, il peut travailler), mais il refuse pour pencher vers la mendicité ; le jour de la résurrection il sera ressuscité avec un visage dépourvu de chair. C’est une menace pour celui-là qui mendie alors qu’il a la capacité physique de chercher son pain quotidien. Mais pour celui qui a une excuse comme un aveugle ou tout autre handicapé, peut mendier car les textes nous encouragent à ne pas repousser celui-là dont la mendicité est tolérable.