C’est le constat qui se dégage à l’issue de la 15è édition de la journée internationale des peuples autochtones au Cameroun, placée sur le thème : « l’éducation à la citoyenneté comme stratégie d’inclusion sociale des populations autochtones ».
Le mercredi 09 août dernier, le Cameroun a rejoint la communauté internationale pour la célébration de la 29è édition de la Journée internationale des peuples autochtones, sur le thème : « les jeunes autochtones comme agents de changement pour l’autonomisation. C’est pour faire écho à cette dynamique internationale de protection des droits fondamentaux de cette couche vulnérable que les activités sur le plan local, ont tourné autour du thème : « l’éducation à la citoyenneté comme stratégie d’inclusion sociale des populations autochtones ».
Accès limité aux besoins de Base
Selon les statistiques de l’association Mbororo Social and Cultural Development Association (Mboscouda), la population autochtone Mbororo de la région de l’Ouest est estimée à environ 62 000 âmes, reparties dans tous les 08 départements. 60% de cette population est recensée dans le département du Noun. D’après Youssouf, membre de l’association Mboscouda, ces peuples autochtones ne bénéficient pas toujours des conditions favorables à leur épanouissement. Leurs droits sont constamment violés. « La plupart des Mbororo n’ont pas d’actes d’état civil (acte de naissance, acte de mariage, acte de décès, parce que les centres d’état civil sont éloignés des campements. Ce qui entraine systématiquement, en ce qui concerne l’acte de naissance, le problème d’établissement de la carte nationale d’identité. C’est pourquoi certains ne peuvent pas participer au processus électoral.
Il faut aussi relever que les centres de santé et les écoles sont éloignés des campements. Ces populations souffrent de problème d’eau. Dans les campements les Mbororo boivent de l’eau qui vient du marigot. Ils n’ont pas de forages. Nous avons aussi besoin que nos chefs traditionnels « Ardos » (plus de 110 dans la région de l’Ouest), soient reconnus et pris en compte dans la prise de décisions. Nous avons également un véritable problème foncier. Vous savez que la principale activité des Mbororo c’est l’élevage. Et comme la loi sur le droit à l’accès à la propriété foncière des peuples autochtones n’est pas clairement définie, c’est pourquoi il y a toujours des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs Mbororo. Leur droit est généralement violé », explique Youssouf.
Pourtant, en 2007, le Cameroun a ratifié la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Dans ses articles 21 et 26, il est stipulé que : « art.21,
1. les peuples autochtones ont droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la formation et de la reconversion professionnelle, du logement, de l’assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.
2. Les Etats prennent des mesures efficaces et, selon qu’il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones.
Une attention particulière est accordée aux droits et besoins des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones ; art.26,
1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.
2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.
3. Les Etats accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés ».
Victimes de discrimination ?
De nombreuses communautés Mbororo de la région de l’Ouest continuent de souffrir de la discrimination, car leurs droits sont bafoués ou non respectés. Ceci en violation de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, qui affirme dans son préambule que tous les peuples sont égaux en droits et en devoirs, et que « l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi ». Ainsi, la communauté Mbororo de Bafoussam constitue l’une des couches vulnérables, car ne bénéficiant pas de dispositions satisfaisantes pour sa sédentarisation et ne pouvant pas exercer pleinement ses droits culturels, étant donné qu’elle est privée de terres.
« Notre souci est que nous avons besoin d’une parcelle de terre où notre communauté peut se regrouper ; où nous pouvons aussi construire notre chefferie. Nous n’avons plus un autre village en dehors de Bafoussam. C’est important pour nous et pour la politique de décentralisation, car cela nous permettra de mieux nous intégrer », s’alarmait lors d’une cérémonie de remise des dons à sa population, le chef de la communauté Mbororo de Bafoussam, Moustapha.
« L’Etat ne peut pas tout faire »
De son côté, le Cameroun a pris des engagements qu’il ne respecte pas, au nom de ce que « la plupart des problèmes ces populations Mbororo évoquent ne sont pas spécifiques à elles, et l’Etat ne peut pas tout faire », a estimé le Délégué régional des affaires sociales de l’Ouest. Toutefois, il a indiqué que des mesures sont prises pour l’inclusion sociale de ces populations autochtones. Au niveau du Ministère des affaires sociales, il a indiqué qu’un plan stratégique de développement des peuples autochtones pour le Cameroun a été élaboré. « Pour ce même plan, le ministère a eu à avoir plusieurs séances de travail avec les présidents des conseils régionaux du Cameroun. Sur le plan régional, « un plan d’urgence auquel font partie ces populations, a été élaboré par le conseil régional de l’Ouest. Ce plan ressort les réalités de ces populations, les différentes difficultés qu’elles rencontrent et ce que l’Etat peut apporter comme solutions », a-t-il ajouté.
En ce qui concerne sa délégation, « nous leur apportons des appuis techniques, notamment des orientations nécessaires, des conseils ; nous les amenons vers ces structures partenaires étatiques ou privés qui peuvent leur apporter un soutien ; nous les amenons aussi à faire des plaidoyers auprès des institutions étatiques ou privées et même des Ong internationales pour leur apporter des soutiens multiformes ; nous travaillons aussi dans l’éducation, la sensibilisation sur la citoyenneté ; on les encourage dans la nécessité pour eux d’avoir des actes d’état civil, des cartes nationales d’identité, des cartes électorales. Mais il faut le préciser, depuis un certain temps, l’Etat fait l’effort de les amener des facilités. Beaucoup de campements aujourd’hui ont des écoles primaires. Dans certains départements il y a des écoles de formations qui ne sont pas très loin des campements », a-t-il déclaré.
Le rôle de la société civile
L’amélioration des droits des Mbororo est un combat essentiellement mené par l’association Mboscouda. « Notre travail consiste à sensibiliser ces populations à avoir des actes de naissances pour participer au vote, être des élus ; nous appelons l’Etat à rapprocher les centres sociaux dans les campements Mbororo ; à reconnaitre les chefs traditionnels Mbororo, nous voulons de l’eau dans les campements, il faut les forages ; il rapprocher aussi les centres de santé et les écoles dans leur communauté. Nous voulons avoir l’accès aux terres. Pour ce faire, nous travaillons en partenariat avec le ministère des affaires sociales. C’est pourquoi Mboscouda a été sélectionnée parmi les organisations de la société civile qui ont œuvré dans le plan de développement dans la région de l’Ouest. « On a été pris en compte dans l’élaboration de ce plan », dit Youssouf, membre de Mboscouda.
Nacer Njoya (Jade)