Deux employés de Médecins sans Frontières inculpés pour terrorisme

Deux employés de Médecins sans Frontières inculpés pour terrorisme

Crise anglophone. Dans un rapport publié le 10 février 2022, les Ong de défense de droits de l’homme dénoncent une détention « arbitraire » et appellent à la libération des travailleurs humanitaires.

Deux employés du service humanitaire Médecins sans frontières (Msf) exerçant dans la région du Sud-Ouest Cameroun sont en détention provisoire à la prison centrale de Buéa depuis quelques semaines. Ashu Dabinash Godlove, conducteur d’ambulance à Msf et Madame Mewouo Marguerite  Gerzande, infirmière urgentiste ont été inculpés par le tribunal militaire de Buéa dans le Sud-Ouest  pour complicité d’évasion d’un terroriste et complicité d’actes de terrorisme. Cette information a été donnée ce 10 février à Yaoundé au cours de la présentation du rapport d’enquête ouverte suite à l’affaire des ambulances de Médecins sans frontières.

Le samedi 25 décembre 2021, à 14h30 mn, alors que les populations sont concentrées à la fête de la nativité, une patrouille de l’armée camerounaise, notamment la brigade territoriale de gendarmerie de Tinto, arrondissement de Upper Bayang, département de la Manyu, lourdement armée a eu un violent accrochage dans la petite bourgade de Tinto2, non loin du chef-lieu de l’arrondissement avec un groupe armé se réclamant des séparatistes. Au terme de l’affrontement de plusieurs minutes, deux éléments des groupes séparatistes ont été grièvement blessés par balles  pendant que les éléments de gendarmerie enregistraient des dégâts mineurs. Les frères d’armes des combattants blessés, venus en renfort les ont conduits immédiatement en moto  dans la localité forestière de Ntenmbang.

Les leaders des groupes armés vont alors contacter le responsable de l’antenne Médecins sans frontière de Mamfé. Après l’alerte et eu égard à l’insécurité généralisée, l’équipe de Médecins sans frontières a engagé les préparatifs d’usage afin de procéder à l’évacuation des blessés. L’ambulance était conduite par Ashu Dabinash. Une fois sur le terrain et après avoir évalué la situation, l’infirmière urgentiste a rendu compte immédiatement à sa hiérarchie qu’un séparatiste touché par balle avait succombé à ses blessures et qu’un autre nécessitait une évacuation dans un hôpital. En transportant le blessé vers l’hôpital de Mamfé, l’ambulance de Médecins sans frontières a été interceptée au check point de Nguti par les forces de défense et de sécurité. Le patient qui se trouvait dans l’ambulance en a été extrait et remis aux forces de sécurité.

Acharnement des autorités

Dans un communiqué signé  le 26 décembre 2021, par le chef de la Division de la Communication du ministère de la Défense, il a été précisé qu’un séparatiste a été interpellé dans un véhicule de Médecins sans frontières. Ce communiqué du ministère de la Défense avait pour objectif de montrer comment cette Ong humanitaire soutient les séparatistes. Pour  Mandela Center international, Msf  a le devoir  de s’occuper de toutes les personnes blessées lors d’un conflit armé : « Le rôle de cette organisation humanitaire n’est pas de savoir si vous êtes terroriste ou soldat. A partir du moment où Médecins sans Frontières est au courant d’un cas, l’Ong a le devoir d’apporter assistance à la victime. Les forces de défense n’ont pas bien agi en interceptant le véhicule qui transportait le blessé. Ces soldats devaient juste se rendre à l’hôpital où le blessé a été interné puis veiller à ce qu’il ne s’échappe pas.

A sa sortie de l’hôpital, il devait être traduit devant la justice pour répondre de ses actes », explique Jean Claude Fogno, secrétaire exécutif de Mandela Center International. Pour cette Ong, l’attitude des forces de défense viole  l’Article 3 commun aux Conventions de Genève qui dispose que  « toute personne qui ne participe pas activement aux hostilités, ou qui ne participe plus, a droit à la protection. Les blessés, les malades et les naufragés, quel que soit leur statut, ont droit à une protection ». Les deux employés de Msf emprisonnés sont également victimes d’une détention arbitraire comme le prévoit l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose : «  Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi ».

Clarifier les relations entre Msf et les autorités

Mandela Center International a mis en place une Commission d’enquête qui a conduit à une mission d’établissement des faits dans le cadre de son programme de Surveillance, documentation, rapportages et poursuites (Sdrp), dans les départements de la Manyu et du Koupé Manengouba, région du Sud-Ouest du 28 décembre 2021 au 15 janvier 2022, dans l’optique de faire toute la lumière sur les allégations de graves violations des principes humanitaires par l’Ong française Médecins sans frontières. Le malentendu avec Msf  et les autorités camerounaises est visible depuis plus d’un an. Cette Ong internationale est soupçonnée de complicité avec les séparatistes. Ce n’est pas la première fois que les autorités camerounaises soupçonnent Msf d’être de connivence avec les séparatistes.

A cause de ces soupçons liés à la gestion de la crise anglophone, Msf a été interdit d’intervenir  dans la région du Nord-Ouest. Selon l’Ong Mandela Center international, il ressort de cette enquête que Médecins sans frontières a agi selon les conventions de Genève et tous les principes humanitaires ont été respectés par cette Ong.  Mandela Center appelle à la libération des deux employés de Médecins sans frontières emprisonnés. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent l’acharnement des autorités contre Médecins sans frontières, une organisation humanitaire qui a quatre principes à savoir l’impartialité, la neutralité, l’humanisme et l’indépendance.

 Le docteur Modeste Tamakloe, représentant de Msf au Cameroun affirme : « Il faut savoir que ces deux employés sont des personnes qui font un travail humanitaire au Cameroun et se retrouver en prison pour avoir secouru une personne qui a besoin d’assistance c’est quelque chose qui est contre l’éthique médicale. Ces deux collaborateurs n’ont pas leur place en prison. Notre organisation humanitaire a mis à leur disposition un avocat qui suit le dossier. Cet avocat est en contact avec les autorités judiciaires  et les deux détenus. Ici à Yaoundé, nous avons entamé les discussions avec les autorités de Yaoundé pour aboutir à la clarification des choses afin que les relations soient assainies. »

Prince Nguimbous (Jade)