Tribalisme : Le poison qui ronge le Cameroun

Tribalisme : Le poison qui ronge le Cameroun

Le tribalisme, ce serpent venimeux, s’enroule autour du Cameroun, étouffant peu à peu les rêves d’unité et de fraternité. Alors que le pays se prépare pour l’élection présidentielle de 2025, les divisions ethniques resurgissent avec une violence inquiétante. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, comment sortir de ce piège mortel ?

Le tribalisme au Cameroun n’est pas une abstraction. Vendredi 25 juin 2010 : Ebolowa est le triste épicentre d’une violence tribale dévastatrice. Les ressortissants du Noun dans l’Ouest du Cameroun, accusés à tort d’un crime crapuleux, sont la cible d’une fureur incontrôlable. Leurs boutiques et  leurs maisons sont réduites en ruines. « Ils ont tout pris, tout saccagé », murmure Ngnang Salifou, le chef de cette communauté, la voix tremblante d’émotion,  rapporte le journal Le Jour. Les femmes et les enfants, évacués dans l’urgence, errent dans l’incertitude, loin de leurs foyers détruits. Les forces de l’ordre, censées protéger les citoyens, sont accusées de laxisme. « Les pillages se sont déroulés sous leurs yeux », dénonce Ngnigni Poutya Arouna, une victime désemparée. Les appels au secours sont  restés sans réponse, laissant les victimes à la merci de la foule en colère. Plus de 300 boutiques et comptoirs ont été pillés et saccagés.

Sangmélima, une  ville fracturée 

Octobre 2019 : Sangmélima est le théâtre de violences ciblant les mêmes commerçants originaires du Noun. Plus de 50 boutiques sont pillées et détruites par des jeunes en colère, suite au meurtre d’un moto-taximan local, attribué à un individu du Noun. Les représailles, marquées par des actes de vandalisme, causent des pertes matérielles estimées à des millions de FCFA.

Mai 2023 : Sangmélima bascule une fois de plus dans le chaos. Le décès de Boulme Arsène, un jeune Bulu de 32 ans, est l’étincelle qui a embrasé la poudrière. Les médecins avaient diagnostiqué sur le défunt une anémie sévère. Mais pour la communauté Bulu, la main mystique d’un « allogène » est derrière ce décès. Les Bulu, submergés par la douleur et la colère, lancent une chasse à l’homme contre les « allogènes » , transformant Sangmélima en une ville déchirée par la haine. Boutiques pillées, biens détruits, vies brisées… Le bilan est lourd, tant sur le plan matériel qu’humain. Les « allogènes »,  pris pour cible, ont vu leurs moyens de subsistance réduits en cendres, poussant beaucoup à fuir la ville.  

Tout récemment, en février 2025, une scène similaire a secoué la localité de Meyo-Centre, dans la Région du Sud. Dans les régions anglophones, les tensions sont tout aussi vives. Les Bamiléké, nombreux dans ces zones, sont souvent perçus comme des « étrangers ». Ces violences, alimentées par des discours haineux, rappellent que le tribalisme n’est pas qu’un mot : c’est une plaie ouverte qui saigne encore.

Un passé empoisonné, un présent fragmenté

Le tribalisme au Cameroun est une blessure ouverte dont l’origine remonte à la colonisation. Les Allemands, puis les Français et les Britanniques, ont appliqué la politique du "diviser pour mieux régner", semant les graines de la discorde. La stratégie du général Gallieni, qui consistait à opposer les groupes ethniques, a érigé des murs invisibles entre les peuples.

Après l’indépendance, les dirigeants ont perpétué cette fracture pour s’accrocher au pouvoir. Ils ont été accusés de favoriser leurs clans, attisant les braises de la méfiance et de la frustration. Aujourd’hui, l’unité nationale se fissure, victime de cette histoire tordue qui refuse de s’effacer.

En 2005, Jean-Baptiste Onana, Professeur à Paris III,   évoque dans ses écrits, une « coalition circonstancielle Béti-Sawa » qui voit dans toute action bamiléké une intention hégémonique. Le révérend père Engelbert Mveng, quant à lui, décrit les Bamiléké comme un peuple à « l’ardeur au travail, l’esprit d’économie et de prévoyance, une intelligence pratique rare ». Ces qualités, souvent perçues comme des menaces, alimentent les stéréotypes et les préjugés.

L’État, un gardien absent
Le Code pénal camerounais prévoit pourtant des sanctions sévères contre le tribalisme. L’article 241-1 punit de un à deux ans de prison et d’une amende de 300 000 à 3 000 000 FCFA « celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique ».

Pourtant, ces dispositions restent largement inappliquées. Les discours tribalistes fleurissent dans les médias et sur les réseaux sociaux, sans que leurs auteurs ne soient inquiétés. L’État, censé être le garant des droits humains, semble souvent laxiste, voire complice.

Le tribalisme viole également les articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le Cameroun. L’article 25 garantit à tous les citoyens le droit de participer à la vie politique, sans discrimination. L’article 26 interdit toute forme de discrimination, y compris celle fondée sur l’origine ethnique. Pourtant, au Cameroun, l’appartenance ethnique reste souvent un critère d’accès aux postes de pouvoir et aux ressources.

Échéance de 2025 : un avenir incertain
Alors que le Cameroun se prépare pour l’élection présidentielle de 2025, le tribalisme risque de devenir une arme redoutable. Certains partis politiques, au lieu de proposer des programmes constructifs, pourraient être tentés de jouer la carte ethnique pour mobiliser leurs bases. Les réseaux sociaux, déjà en ébullition, pourraient devenir des champs de bataille virtuels où l’on s’affronte à coups de fausses informations, prêtes à exploser en actes barbares.

Mais tout n’est pas perdu. Il faut que l'État cesse de jouer les spectateurs et applique les lois existantes avec fermeté. La société civile, les médias et les citoyens doivent refuser d’alimenter ce feu destructeur. Car si le tribalisme est un poison, l’unité en est  l’antidote. 

Etienne TASSE