Des manifestants ont été réprimés par les gendarmes à Bagam alors qu’ils dénonçaient l’incarcération du prince Mathurin Mouyebe Zossie, prétendant au trône de la chefferie supérieure de cette ville. Ce prince s’oppose à l’occupation de ce trône par son frère consanguin, Dieudonné Fontendop Zossie. Bilan provisoire de cette manifestation : deux morts et des blessés graves selon les organisateurs.
«Ils ont tiré à balles réels sur des manifestants. L’administration a ordonné aux gendarmes d’user de balles réelles contre des populations aux bras nus. Nous revendiquons le respect de nos us et coutumes. Nous tenons au respect de nos coutumes. Les exigences des notables en matière d’intronisation d’un nouveau chef supérieur à Bagam doivent être prises en compte. Nous avons porté plainte au tribunal de première instance de Mbouda. Il a été reconnu que l’ancien préfet du département des Bamboutos a fait introniser courant aout 2020, un prince comme chef traditionnel des Bagam sur la base d’un faux testament. En plus, coutumièrement, celui-ci ne remplit pas toutes les conditions pour être investi chef traditionnel.»
Rencontré par Journalistes en Afrique pour le développement(Jade), un descendant de la dynastie royale Bagam qui tient à rester anonyme dénonce les abus de l’administration territoriale qui, le jeudi 16 novembre dernier, a réprimé violemment une manifestation des populations du village Bagam. Celles-ci s’opposent à l’incarcération à la prison centrale de Bafoussam, depuis déjà un mois, du prince Mathurin Mouyebe, prétendant au trône de cette collectivité traditionnelle. Un fauteuil déjà occupé par Dieudonné Fontedop depuis 2020, année du décès du chef Simo Zossie. Le gouverneur de la région de l’Ouest, Aza Fonka Augustine, a pris la défense de Fontendop en faisant savoir qu’il est curieux que huit mois après le début de règne de celui-ci qui a subi des rites d’initiation au noviciat du Laakam pendant neuf semaines comme l’exige la tradition Bamileke , un autre prince revendique la succession.
Reste que les contestataires de Dieudonné Fontendop Zossie soutiennent que c’est abusivement que l’autre prétendant au trône, Mathurin Mouyebe Zossie, a été interpellé et conduit manu militari chez le sous-préfet de Galim afin qu’il renonce à son ambition d’être le souverain traditionnel des Bagam. C’est suite à son refus d’obtempérer qu’il a été conduit à Bafoussam et jeté en prison. Une requête en habeas corpus a été introduite par un collectif d’avocats auto-constitué pour sa défense. Cette cause sera entendue le 24 novembre prochain.
A la fin de la réunion régionale de coordination administrative et de sécurité tenue les 20 et 21 novembre dernier à Baham dans le département des Hauts-plateaux, Awa Fonka Augustine, gouverneur de la région de l’Ouest, a réaffirmé son engagement à assurer le maintien de l’ordre public et de la paix sociale à Bagam. Pour cette autorité administrative, Dieudonné Fontendop reste le seul chef légitime et légal du groupement Bagam. D’où la poursuite des interpellations des acteurs ou initiateurs des manifestations lancées contre la tournée de prise de contact de Fontendop dans les quartiers et villages du groupement Bagam le jeudi 16 novembre dernier.
C’est ainsi que le lundi 21 novembre dernier, cinq personnes dont un certain Jean Pierre, ont été interpellés par les gendarmes de Galim pour trouble à l’ordre public et incitation à la révolte. Un collectif d’avocats a été constitué pour la défense de Mathurin Mouyebe et de tous ses partisans. Les avocats de ce groupe, dont Me André Marie Tassa, font savoir qu’ils vont user de tous les moyens de droit pour établir Mathurin Moueybe comme chef traditionnel du groupement Bagam. Ils se sont aussi constitués pour défendre toutes personnes interpellées dans le cadre de cette affaire par les forces de maintien de l’ordre.
Ils entendent aussi poursuivre les auteurs et les commanditaires de l’opération de maintien de l’ordre menée le jeudi 16 novembre dernier, ayant entraîné la mort de deux manifestants à Bagam. Aussi, les auteurs des coups et blessures légères ou graves à l’endroit des manifestants sont menacés de poursuite pénale par le collectif des hommes en toge noire. Ces avocats sont d’autant plus déterminés qu’ils font savoir que l’Etat du Cameroun à travers les autorités administratives du département des Bamboutos a manqué à l’obligation de prendre des mesures positives pour protéger le droit à la vie qui découle de l’obligation générale de garantir les droits reconnus tels que la liberté de réunion et de manifestation pacifique.
Obligation de respecter le droit à la vie
Au-delà des juridictions internes, ils entendent se plaindre à l’international. Car l’article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques prescrit que le droit à la vie est sacré. Suivant les observations d’ordre général du Comité des droits de Lhomme de l’Organisation des nations unies, cet article reconnaît et protège le droit de toutes les personnes humaines à la vie. Le droit à la vie est le droit suprême auquel aucune dérogation n’est autorisée, même dans les situations de conflit armé et autres situations de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation. Le droit à la vie revêt une importance capitale, tant pour les personnes que pour la société dans son ensemble.
Il est extrêmement précieux en lui-même en tant que droit inhérent à toute personne humaine, mais il constitue également un droit fondamental, dont la protection effective est la condition indispensable de la jouissance de tous les autres droits de l’homme et dont le contenu peut être éclairé par d’autres droits de l’homme. Le paragraphe 1 de cet article 6 du Pacte dispose que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie et que le droit à la vie doit être protégé par la loi. Il pose le fondement de l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie, de lui donner effet par des mesures d’ordre législatif ou autre, et d’offrir un recours utile et une réparation à toutes les victimes de violations du droit à la vie.
Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques en son article 21 consacre le droit et la liberté de réunion et de manifestation. Il impose que le droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
L’Observation Générale no 37 en donne les détails. Elle fait observer que les organismes et les agents chargés de l’application de la loi doivent utiliser une force minimale pour prévenir les actes de violence ou d’illégalité, et les armes à feu ne doivent jamais être utilisées simplement pour disperser un rassemblement. Les partisans de Mathurin Mouyebe font savoir que des gendarmes ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Bagam.
Ceux-ci font aussi savoir que les pratiques d’arrestation massive sans discernement avant, pendant ou après un rassemblement sont arbitraires et illégales tout comme la détention préventive d’individus ciblés pour les empêcher de participer à une manifestation, sauf dans des circonstances très spéciales, est susceptible d’être Illégale, surtout si la détention dure plus de quelques heures. En droit international des droits de l’homme, il est prescrit que les États doivent veiller à ce que les auteurs de violations ou d’abus des droits humains dans le cadre de manifestations aient pleinement à répondre de leurs actes, notamment en enquêtant sur ces violations et abus et en poursuivant les auteurs, y compris dans les cas de violences sexuelles ou sexistes. Pour renforcer l’efficacité de la responsabilisation, les agents des forces de l’ordre en uniforme doivent toujours afficher une forme d’identification facilement reconnaissable pendant les rassemblements.
Guy Modeste DZUDIE(Jade)